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Borgman

Alex Van Warmerdam avait, au milieu des années 90, rencontré un certain succès (critique essentiellement) avec des films comme Les habitants et La robe, avant de sombrer dans les gouffres de l’oubli et de l’indifférence. Presque vingt ans plus tard, le voilà qui revient sous les projecteurs avec ce Borgman intrigant et réussi, présenté cette année en compétition officielle à Cannes (mais reparti bredouille alors qu’il méritait au moins le prix du scénario ou le prix du jury). L’intrigue a été largement comparée à du Pasolini (avec Théorème dans cette figure de l’intrus débarquant dans une famille pour en révéler les failles) et à du Haneke (avec Funny games dans cette irruption de la violence dans un quotidien qui se détraque).

On y décèlera même un peu de Lynch (des songes qui deviennent réalité et inversement, une créature hirsute et chevelue scellant les destins…) ou même du Buñuel (L’ange exterminateur) dans cette perspective surréaliste s’amusant à maltraiter une bourgeoisie type prise au piège de son propre déclin et de ses propres démons. Car qui sont ces hommes sortis de sous la terre ? Qui sont ces hommes pourchassés par d’autres hommes armés de pieu et de fusil ? Sont-ce des aliens capables de se transformer en animaux ? Sont-ce des vampires ? Des esprits maléfiques ou des anges déchus (avec leur cicatrice dans le dos, comme une aile qu’on aurait coupé) ?

Ils semblent être en tout cas l’incarnation d’un quelque chose inhumain qui rôde alentour et qui s’insinue, qui rampe, qui s’embusque, et celle du Mal plus certainement. Des incubes "descendus sur Terre pour renforcer leurs rangs", venus pour sévir et pour punir, éradiquant nos rêves et concrétisant nos cauchemars ; une scène du film s’inspire d’ailleurs du tableau de Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar, quand Borgman (inquiétant Jan Bijvoet) vient s’accroupir nu au-dessus de Marina pour influer sur ses visions et ses désirs… Cauchemars d’une famille idyllique en apparence mais qui, dès le départ, affiche fêlures et dysfonctionnements, envies et frustrations.

Un mari impulsif ne jurant que par les signes extérieurs de richesse et une espèce d’autorité patriarcale désuète, des enfants silencieux guidés par une nounou pâle et effacée, une mère qui s’ennuie, s’évadant dans la peinture et qui paraît vouloir s’extirper, surtout, de cette existence trop parfaite, trop jalonnée (trois beaux enfants, une jolie maison, de l’aisance et de la suffisance…). Borgman est un film à lente maturation qui cultive l’absurde sans jamais forcer le trait ni s’abaisser à la facilité. Van Warmerdam redessine les cartes du tordu et de l’allégorie (les lévriers, le spectacle final, l’arbre qui s’arrache de la terre…) avec un soin maniaque du cadre et du décor (la maison ultra moderne au design vaste et angoissant), et celles aussi d’un humour grinçant et macabre.

On reprochera juste au réalisateur de jouer un peu trop avec le bizarre en accumulant détails et présages incongrus (ou faisant évidemment sens) qui finissent par dérégler le rythme, et le propos à la fin paraît s’enfermer lui-même dans les non-dits ou, au contraire, s’ouvrir à trop d’interprétations, déployées sans limite à notre imagination avec ce sentiment d’une mécanique trop programmatique. Et si la conclusion sait s’accorder à l’ambiance troublante et fascinante de cette fable iconoclaste sans y préférer de vaines épates, on l’aurait souhaité davantage paroxystique, délirante et/ou marquante. Laissant derrière eux jardin retourné et cohorte de cadavres, ces nouveaux émissaires de l’Apocalypse, à pied avec bagages à la main, sont les reflets insolites de nos égoïsmes et de nos vices.
 

Alex Van Warmerdam sur SEUIL CRITIQUE(S) : La peau de Bax.

Borgman
Tag(s) : #Films, #Cannes 2013

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