C’est donc ça la Chine aujourd’hui. Nous, on en était resté aux clichés, aux évidences : les moches mégalopoles comme des fourmilières, les villes ouvrières déshumanisées, les paysages déprimants et gris, l’horizon plombé, les mines de charbon et les complexes industriels gigantesques, la pollution galopante, la surpopulation galopante, la corruption galopante, la pauvreté galopante, la censure galopante… En fait, il y a de tout ça dans A touch of sin (on était donc dans le cliché, mais le cliché vrai). Jia Zhang-ke érige le tableau dur et anti-glamour d’un pays au soleil plus très levant, observant avec une espèce de détachement résigné la violence des rapports en milieu contemporain (et chinois évidemment).
Une violence ininterrompue, une violence qui grouille, une violence qui tache, qu’elle soit sociale, physique ou même sentimentale (adultère, rejet amoureux…). Scindé en quatre parties avec, pour chacune, une figure dominante et presque emblématique (un mineur revanchard, un tueur à la petite semaine, une réceptionniste de sauna/bordel et un adolescent en mal de certitudes), A touch of sin observe le dérèglement programmé de nos espoirs et de nos instincts, le film insistant d’ailleurs sur cette part d’animalité qui sommeille en nous, symbolisée par ces bêtes qu’on voit traîner partout (cheval, buffles, serpents, poissons…).
À coups de fusil ou à coups de couteau, on règle ses comptes tout court et son compte à une société (contre les riches surtout, contre les magouilleurs, les exploiteurs, les profiteurs…) disposée à ne faire aucun cadeau. Plus terrible encore, ce semble être là l’unique solution envisageable pour survivre à tout ça (et le supporter). Si la réflexion a au moins le mérite de ne rien escamoter de nos dérives actuelles en affichant une sorte de cynisme inéluctable, on reste étrangement détaché de tout ce charivari social qui vire au jeu de massacre stylé. C’est comme si on regardait ça de loin et sans jamais la moindre empathie pour les personnages, pantins constamment brutalisés, rabaissés (physiquement, moralement), et que Jia Zhang-ke à tendance à simplement poser ici, installer là, agiter encore ici, tout à ciseler d’abord les rouages désespérément identiques (exposition, causes, conséquences) de ses fragments critiques, chacun avec un environnement et un mal attribués, (trop) bien définis, compilés.
C’est que la démonstration est parfois insistante, ennuyeuse aussi et lourde dans ses actions (l’accident de train, la réceptionniste se transformant soudain en tueuse implacable qu’on croirait échappée d’un Tarantino ou d’un Winding Refn, le suicide de l’adolescent filmé avec effet choc à l’appui…), et qu’elle ne dit rien de nouveau non plus dans la dénonciation d’une mondialisation qui rend maboule. Et puis dans ce genre de film à plusieurs segments, il y a toujours les vilains petits canards, et c’est le cas ici du deuxième et du troisième, plus longuets et plus anecdotiques. Tiré de faits réels, A touch of sin offre le constat désespérant d’un pays phagocytant l’humain, portrait inégal de quatre "victimes", quatre visages de la Chine actuelle perdus entre folie exponentielle et bol de nouilles fumantes.