Idée brillante, forcément : le film aurait dû s’appeler Le fabuleux destin de Walter Mitty ou Bienvenue, Mister Mitty ou L’aventurier de la photo perdue ou que sais-je encore, avec Walter qui fait du skate sur les routes pentues d’Islande, Walter qui observe un léopard des neiges en haut de l’Himalaya, Walter qui se bat contre un requin en plein Atlantique Nord ou Walter trop amoureux de Cheryl, et tout ça pour retrouver la photo 25 du grand reporter Sean O’Connell (égarée sur un malentendu) qui doit faire la couverture de l’ultime numéro de Life (qui s’est réellement arrêté en avril 2007) racheté par une bande de bâtards capitalistes sans scrupules qui veulent (qui vont, qui font, qui en feront) une version uniquement numérique.
Bye bye les employés, bye bye l’argentique et bye bye l’ambiance sympa à la machine à café. Walter, lui, ne pense qu’à récupérer cette foutue photo (et à Cheryl aussi) et à vivre soudain son existence avec une ardeur retrouvée. Coincé dans sa petite vie grise et pourrie qui ressemble forcément à la tienne (parce que c’est ça la magie du cinéma, c’est pouvoir s’identifier tout de suite au personnage), Walter se déconnecte souvent, s’imagine sauveur de chien, alpiniste charmeur lover ou super action man, et cette photo sera pour lui un déclencheur, l’occasion de "briser ses chaînes" et de "voler de ses propres ailes" en souillant David Bowie, genre Back to humanity, L’essentiel volume 1.
C’est suffisamment plaisant, assez fun et bien fait pour que l’on sourît aimablement (bêtement ?) devant ce film gentil d'idéaliste gentil (mais qui n’oublie jamais le monde vénal dans lequel on vit en balançant des placements produits qui ne prennent même plus la peine d’être un tant soit peu discrets) à la morale rasoir et éculée (vis ta vie, vis tes rêves, sois toi-même et tout le package qui va avec). En ces temps de crise mondiale et de pauvreté à gogo, le message fait doucement rigoler, mais bon, on est au cinéma hein, on est là pour s’évader et pour s’émerveiller (superbes paysages d’Islande et de l’Himalaya) sans forcément devoir tout ramener à la réalité et à de sordides détails matériels.
Walter est la figure d’un simulacre de rébellion sociale face à un libéralisme forcené, presque un activiste à sa manière (avec de la thune et un passeport s’il vous plaît) qui, whaou, saute d’un hélicoptère, joue au foot avec des Mongols (ou assimilés) et se frite avec la douane américaine, et la figure aussi d’une utopie contemporaine où espoir rime avec entubage, quintessence résignée de ton boulot de merde (quand t’en as un) dans ton bureau de merde (quand t’en as un aussi). On devrait montrer ce film aux bonnets rouges, aux esclaves du Qatar ou aux ouvriers de Peugeot tiens, ça devrait les calmer un moment. Allez, joyeuse prime de Noël à tous !
Ben Stiller sur SEUIL CRITIQUE(S) : Tonnerre sous les tropiques.