Peter Greenaway ne changera pas. En fait, il n’a même jamais changé depuis ses débuts dans les années 80 avec son illustre Meurtre dans un jardin anglais, jeu des sept erreurs raffiné et mortel dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Fidèle à ses obsessions encyclopédiques, ses délires graphiques et ses dispositions scandaleuses, le réalisateur gallois, à plus de 70 ans, est parvenu à construire une œuvre à part entière ayant peu d’équivalent dans les écheveaux du septième art. Deuxième chapitre d’une trilogie sur les maîtres flamands (commencée avec Rembrandt dans La ronde de nuit en 2007 et qui prendra fin avec Jérôme Bosch en 2016), Goltzius et la compagnie du pélican narre, entre fiction et vérité historique, un épisode de la vie d’Hendrik Goltzius, célèbre peintre et graveur néerlandais du 16e siècle.
Reprenant le dispositif scénique de Prospero’s books et, surtout, de The baby of Mâcon (terrifiante symphonie blasphématoire pleine de rouge et de sang), le film entremêle réalité et reconstitution théâtrale jusqu’à ce que ce point de réalité finisse par rejoindre les grandes illusions du jeu, et la mort s’inviter en une sorte de deus ex machina imposant son implacable barbarie. D’une incroyable richesse, comme toujours, dans les images, dans les thèmes et dans les dialogues, le film est un impressionnant fourre-tout esthétique qui laisse littéralement épuisé à la fin. Mettant en scène, lors de reconstitutions érotiques, plusieurs passages clés du Vieux Testament, Greenaway, plus iconoclaste que jamais, continue à malmener le pouvoir, les religions et la bienséance morale.
Cru et sans gêne (tous les acteurs chez Greenaway terminent entièrement nu, de Brian Dennehy à Helen Mirren en passant par Ewan McGregor ou Julia Ormond), Goltzius célèbre le corps humain avec une gourmande volupté en entremêlant luxures, ébats divers et sexualité libérée. Et si les incrustations vidéo que Greenaway affectionne tant (et qu’il expérimente, depuis Prospero’s books, dans ses films et ses installations) commencent quelque peu à dater, elles lui permettent en tout cas de totalement affirmer et maîtriser ses recherches picturales et ses (nombreux) enjeux narratifs, formant un véritable lupanar stylistique qui dénonce l’actuelle censure intellectuelle de nos sociétés affectées.
Peter Greenaway sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le ventre de l’architecte, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, The baby of Mâcon La ronde de nuit, Que viva Eisenstein!.