Martin Scorsese n’a pas fait les choses à moitié : trois heures, son film dure trois putain d’heures. Trois heures inégales, hyper maîtrisées, mais hyper prévisibles. En fait, c’est très simple : vous remplacez Robert De Niro par Leonardo DiCaprio, Joe Pesci par Jonah Hill, Sharon Stone par Margot Robbie, l’histoire vraie de Frank Rosenthal par l’histoire vraie de Jordan Belfort, l’univers des casinos à Las Vegas par celui des banques d’investissement à Wall Street, une bande son éclectique et foisonnante par une bande son éclectique et foisonnante, un montage nerveux (toujours de Thelma Schoonmaker, éternelle complice du réalisateur) par un montage nerveux, et pif paf, vous avez Casino 2 : Le retour de la suite du remake.
Soit grandeurs et décadences non plus d’un dirigeant de casino (ou d’un mafieux ou d’un boxeur : ça marche aussi avec Les affranchis et Raging bull), mais d’un cador de la finance. Le problème désormais avec ce style de fresque scorsesienne, c’est qu’on connaît d’avance à quoi ça carbure, comment ça fonctionne et comment ça va se terminer (et parce que Scorsese est sans cesse travaillé par les thèmes de la chute et de la rédemption, de Taxi driver aux Nerfs à vif en passant par À tombeau ouvert). Ce ne sont d’ailleurs, à aucun moment, Wall Street et ses rouages occultes, la crise à venir et les abus bousiers, qui intéressent Scorsese, mais davantage l’homme perdu et déjà condamné, submergé par un déluge de putes, de cocaïne et de billets verts.
Les requins ont beau avoir les dents longues et la dent dure, ils n’en sont pas moins pathétiques et terriblement humains, rien qu’une meute de dégénérés avec des cravates moches n’hésitant pas à parler chattes rasées à leur père ou masturbation intensive au restaurant, et qui tremblent des couilles pour leurs dollars dès que le FBI pointe le bout de son nez. Le film a beau s’agiter dans tous les sens et nous servir un bouillon cinématographique corsé (et parfois caricatural), on n’accroche jamais aux frasques et aux malheurs de Belfort parce que ce personnage, on l’a déjà vu avant et on le calcule par cœur (genre le self made man christique qui réussit, qui trébuche, dégringole puis ressuscite).
À part gesticuler comme un diable, avaler des quaaludes et vociférer dans son micro, rien n’est vraiment fait pour qu’on puisse s’y intéresser. On passe à côté de lui comme on passe à côté du film. On s’en tamponne. On l’observe se démener et s’époumoner sans rien éprouver pour lui parce qu’il n’a rien de nouveau, rien de particulier, rien d’attachant, et ce malgré un cynisme salutaire et une fin cruelle qui voit Belfort se "prostituer" devant un parterre de pigeons néophytes (nous). DiCaprio se lâche complètement (ça fait plaisir de le voir avec une bougie dans le cul), et plus encore que chez Tarantino dans Django unchained, frôlant de temps en temps l’overdose de rictus et de gesticulations en tous genres (même si le rôle n’appelle à pas grand-chose d’autre).
Avec son lot de scènes ratées (celles du bateau dans la tempête, le crash de l’hélicoptère, DiCaprio en mode paralysé et grimaçant qui tente de rejoindre sa voiture…) et de scènes brillantes (le déjeuner avec un Matthew McConaughey très en verve, la première rencontre entre Belfort et le FBI…), Le loup de Wall Street est un show énergique mais rabâché (au secours la voix off) sur ces nouveaux terroristes en cols blancs spéculant sur du vent et la fragilité du monde, malades de leur propre succès et de leurs débauches sans fin. Trois heures de "Vis ma vie de trader" qui donnent envie, éventuellement, d’aller dire deux mots à monsieur Goldman Sachs et à madame Société Générale.
Martin Scorsese sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les nerfs à vif, Shutter island, Silence, Killers of the flower moon.