Wow quoi. Wow Matthew McConaughey. Et wow Jared Leto aussi. Évidemment, il y a la transformation physique de dingue, il y a les kilos perdus, il y a la moustache moche et la coupe de cheveux pas possible, la jupe courte et le vernis à ongles, mais à la rigueur on s’en fout parce qu’il y a le talent, il y a une fièvre… Évidemment, il y a le rôle à Oscar, il y a la caution "histoire vraie", il y a le sujet limite putassier pour faire pleurer la Terre entière, mais il y a aussi la retenue d’un film tout sauf pesant, salement racoleur… Avec sa tête et son allure de lézard décharné, McConaughey est littéralement entré dans la peau de Ron Woodroof, électricien de Dallas diagnostiqué séropositif qui va se battre contre les laboratoires pharmaceutiques et les autorités fédérales pour pouvoir recourir (illégalement) à des traitements alternatifs non officiels (et en faire profiter d’autres malades) plus probants que ceux imposés (l’AZT en premier lieu) par un corps médical au garde-à-vous.
Dallas buyers club bouleverse simplement, et jamais de trop : pas de musique ajoutée, pas d’apitoiement, pas de grandes scènes lacrymales… Juste un râle de désespoir dans une voiture, une supplique pour un peu de médicaments, la peur de mourir, de la pudeur partout, et Amanda Lear en fond sonore dans un rade gay paumé du Texas (et puis aussi l’inénarrable Obsession d’Animotion qu’il fallait oser ressortir des cartons). Certes, la reconversion idéologique de Ron, homophobe patenté avant la découverte de sa séropositivité, n’est pas exempte de quelques bons sentiments ici ou là, mais le magnétisme et l’offensive du personnage (montré d’abord comme un business man plutôt qu’un bon samaritain, samaritain qu’il deviendra par la suite, inévitablement) balaie la plupart des objections que l’on pourra avancer.
Ostracisé par sa propre "caste" de ploucs texans (puisqu’en 1985, être séropo ou avoir le Sida signifiait forcément être pédé, et dans un milieu aussi évolué que le plouc texan, être pédé passe mal, très mal), Ron va se reconstruire une identité, un "clan", d’abord par défaut, ensuite par appétence. L’antinomie entre la rusticité de Ron et la follitude de Rayon, travesti junkie haut(e) en couleur, est d’ailleurs savoureuse, et malgré la gravité du sujet, Dallas buyers club n’oublie jamais d’être drôle. Le film accuse un coup de mou quand il s’attarde trop sur les affaires de Ron et les soucis administratifs avec la Food and Drug Administration, et sait être plus fort, plus touchant, quand il revient à ses personnages et à leurs interactions. Ce sont eux qui portent le film, eux qui l’enflamment. Eux qu’on a envie de prendre dans nos bras.
Jean-Marc Vallée sur SEUIL CRITIQUE(S) : Café de Flore, Wild.