Ça se passe gare du Nord, ça commence là. Il y a une bande de loulous, des Russes, des Ukrainiens, des Moldaves, des loulous qui zonent, qui essaient de chaparder, un peu, qui draguent les messieurs, un peu aussi. Il y a Daniel qui descend du train et qui croise le regard de Marek, puis qui l’aborde. Ils décident de se voir le lendemain, ils décident chez Daniel, ils décident d’un tarif… Tout commence là, comme ça, gare du Nord. Un regard. Une envie. Une adresse échangée sur un bout de papier. Pour Daniel et pour Marek, cette rencontre va tout bouleverser… Robin Campillo revient, neuf ans après Les revenants, avec un film intrigant et pas commode qui parle, sans complaisance, de prostitution et d’immigration. De solitude et d’amour. De lâcheté et de courage.
D’emblée, Campillo sait imposer un style et un rythme. Ballet des corps, mise en scène précise, très peu de dialogues et une tension sourde lors d’une longue séquence dans l’appartement de Daniel où celui-ci, impuissant, assiste à son propre cambriolage sur fond de techno assourdissante. Et puis un personnage principal opaque, difficile à cerner, difficile à apprécier presque, et dont on ne saura pas grand-chose. Un bon boulot, des amis, un ex, quelques photos sur le grand miroir dans le salon, et c’est tout. Olivier Rabourdin, magnifique, massif et vulnérable à la fois, sait révéler toute l’ambiguïté et la fragile humanité de cet homme qui paraît soudain repartir. Revivre à fond, désirer, aimer peut-être. Et se battre. Campillo ne le juge jamais, détaché de toutes critiques sans être indifférent, genre pas concerné. Au contraire.
Ça se sent, ça se voit lors des très belles scènes d’intimité entre Daniel et Marek (Kirill Emelyanov, belle découverte) quand, par exemple, Daniel regarde Marek en train de jouir sous ses mains, ou quand il lui dit "Tu es très beau", il lui dit ça une première fois, une deuxième fois, une troisième fois à l’oreille, tendrement. Ou quand Marek se réveille en pleine nuit, affolé par un feu d’artifice qui lui rappelle le bruit des bombes en Tchétchénie, et qui semble ne plus savoir où il est, perdu dans les bras de Daniel. Dommage que le film (découpé en quatre chapitres aux titres ampoulés) vire, dans son dernier tiers, à une espèce de thriller social ni totalement convaincant ni vraiment nécessaire, brisant de fait la belle dynamique relationnelle entre Daniel et Marek. Ça laisse comme un goût de déréglé. De mal fini.
Robin Campillo sur SEUIL CRITIQUE(S) : 120 battements par minute.