Elle, c’est Samantha, et c’est d’abord une voix (celle, douce et rocailleuse, de Scarlett Johansson). C’est surtout un programme informatique, une intelligence artificielle qui se substitue à un(e) ami(e), à une présence à vos côtés, éventuellement un vide dans votre cœur. Un palliatif à l’isolement, au manquement, à l’absence. Lui, c’est Theodore (Joaquim Phoenix, tout en retenue). Il dicte des lettres manuscrites pour des gens qui n’ont pas le temps ou qui ne savent pas faire. Des lettres d’amour, de remerciements, qui disent les années qui ont passé, qui racontent des histoires, qui assurent des affections. Il est gentil, Theodore. On sent qu’il a un cœur gros comme ça, qu’il est très fleur bleue.
Et puis malheureux aussi, un peu beaucoup énormément, parce qu’il a du mal à se remettre d’une rupture amoureuse qui l’a laissé sur le carreau ("J’attends de ne plus l’aimer", confiera-t-il à Samantha). Sa rencontre avec Samantha, sexy proxy aimable et pas contrariant, va lui redonner goût à ce truc compliqué et chiant qu’on appelle l’amour. Fait d’éclats de soleil (très belle photographie de Hoyt van Hoytema), d’émotions fragiles et d’ennui poli, Her est un film mélancolique. Doucement mélancolique. Un film tout doux (trop doux) sur la difficulté d’aimer jusqu’au bout (et jusqu’où ?). Sur l’incommunicabilité qui nous sépare tous, de tout, tout le temps. Connectés, mais isolés.
Dès lors que Samantha étend les champs de sa conscience et perfectionne ses sentiments, sa relation avec Theodore va évoluer, se complexifier puis s’altérer. Et révéler ses limites évidentes, inéluctables à long terme (Samantha avouant le nombre d’utilisateurs de son programme, la scène de "triolisme" bizarre où une vraie femme de chair et de sang, Isabella, incarne physiquement Samantha qui, elle, parle à sa place). Le film laisse, machinalement, entendre sa petite musique, s’autorisant quelques jolis moments de grâce et de poésie, mais exprimant le plus souvent une monotonie agréable, comme un ronron de chat, une mélodie d’ascenseur qui calme.
Her n’est finalement qu’une gentille romance 3.0, une love story simplette (flashbacks assez clichés, manque d’audace et de zèle qu’une telle thématique pouvait se permettre) qui témoigne, de façon tout aussi simplette, des grandes solitudes électroniques de notre époque (et de celles à venir) : méchants portables, méchantes tablettes, méchants ordinateurs… Jeux, messageries, réseaux sociaux, flux d’informations en continu, porno et rencontres virtuelles… Tout ce qui nous coupe et nous éloigne de l’autre, éloigné lui aussi, déjà. Et peut-être juste à côté de vous, sur un strapontin de métro, le fauteuil d’un cinéma ou dans ce café près du flipper. Mais vous ne l’avez pas regardé, même pas calculé parce que, seul(e) à votre table, vous êtes plongé(e) dans la rédaction de vos tweets ou dans votre partie de Candy Crush.
Spike Jonze sur SEUIL CRITIQUE(S) : Max et les maximonstres.