Après l’intéressante expérience que fut Amer en 2009, Hélène Cattet et Bruno Forzani continuent à explorer de fond en comble (et jusqu’à une sorte d’épuisement, d’exhaustivité magistrale) les codes et figures du giallo avec ce nouveau long métrage identique à Amer (un décalque parfait, son pendant masculin). Cette critique vaudrait donc pour Amer également, presque mot pour mot, puisque les deux films partagent à l’évidence les mêmes éclats et les mêmes travers : des fulgurances, de la majesté, et cette beauté vénéneuse qui nous enveloppe et nous affole… Des scories, des maladresses, et ces instants qui nous lassent et nous indiffèrent…
Et puis il y a, encore et encore et encore, ces gants en cuir qui crissent, ces rasoirs qui sifflent et ces chairs qui s’ouvrent. Il y a toujours ces béances incroyables, toujours ces yeux en gros plans et ces femmes dont l’aura conduit à une perte, féminité exacerbée, sidérante surtout… Le récit se fait gigogne, à tiroirs, par emboîtements ou par retranchements, et n’en finit plus de se mettre en abîme(s). Abîmes d’où surgissent fantasmes et visions de cauchemars s’entremêlant à la réalité sans que l’on puisse faire à la fin une distinction précise. On se laisse happer par envie, malmener par vertige et parce qu’il n’y a guère d’autres choix pour appréhender (et apprécier), dans sa globalité et dans ses volontés, une œuvre si fournie qui tient souvent du délire psychédélique.
Chaque scène semble se confondre à l’autre en l’avalant puis en l’assimilant, circulant sans cesse par-delà les murs, les plaies et les blessures, des raccords de noir ou des fragments de couleurs… Mais la belle mécanique, si ambitieuse soit-elle dans la beauté de ses images et de ses ambiances oniriques (ou nettement plus gore), se grippe quand l’intrigue et la forme finissent par tourner en rond, par s’emballer à vide. Là où Berberian sound studio (lui aussi vibrant hommage au giallo) savait maîtriser ses effets et ses plaisirs, L’étrange couleur des larmes de ton corps souffre d’un trop de manières et d’ostentations, se pare d’un bluff à tout prix.
L’exercice de style reste passionnant, mais désincarné dans sa continuité. C’est qu’entre effrois et agréables frissons, teintes primaires et sensations plus primaires encore, le film impressionne sans que l’on soit transporté en retour, en entier dans son moi. C’est un cinéma de commotions, un cinéma d’impressions et d’étonnements (et d’autant de frustrations), avec un impressionnant travail sonore qui, à lui seul, assure en grande partie le spectacle. Il sera intéressant, à l’avenir, de voir comment Cattet et Forzani vont réussir à faire évoluer leur cinéma et échapper enfin aux oripeaux de la référence et de la citation. L’attente est prometteuse en tout cas.
Hélène Cattet et Bruno Forzani sur SEUIL CRITIQUE(S) : Laissez bronzer les cadavres.