C’est d’abord un mouton qu’on égorge, puis qu’on dépèce, puis qu’on éviscère et qu’on désosse. Il y a du sang, de la peau arrachée, une carcasse suspendue dans le froid de l’hiver. Ça met dans l’ambiance. Ensuite il y a des cafards dont on arrache les pattes, qu’on électrocute aussi, qu’on donne en pâture à des lézards qui, eux, finissent par s’entre-dévorer. À l’école, c’est pareil. Cruauté et sadisme ordinaires imprègnent un quotidien éprouvant (on est en plein cœur des plaines sauvages du Kazakhstan, loin de la ville et des routes). On brime les plus faibles, on frappe les récalcitrants, on rackette n’importe qui, jusqu’à l’impensable. On y enseigne Gandhi et les armes à feu, on y apprend que l’énergie du monde, c’est l’argent.
La visite médicale ressemble à un triage. On évalue les uns, on teste les autres, et on punit toutes manifestations du désir avec une règle en fer ou un verre d’eau. Il y a Aslan, jeune garçon mutique mis à l’écart de (par) ses camarades qui ne sourit jamais, parle peu, se lave comme s’il se purifiait. Sous ses allures chétives et maladives, il enregistre pourtant, méthodiquement, les impulsions violentes du monde qui œuvrent autour de lui, puis les retranscrit ensuite dans sa chambre en suppliciant des cafards, faisant sienne cette mécanique brutale pour mieux s’en servir à la fin. Contre lui, contre les autres, contre la société. Périr ou survivre, le choix est assez simple à faire, renvoyant au processus de sélection naturelle si chère à Darwin que l’on étudie également en classe, en rang dans des uniformes.
Davantage que les leçons d’harmonie promises par le titre (cette harmonie nécessaire pour comprendre et endurer une tyrannie protéiforme), ce sont des leçons d’apprentissage que le film paraît prodiguer. Apprentissage à la dure (les coups à l’école, les tortures en prison) pour rester debout. Être le plus fort. Le bourreau. S’extirper de la masse. Premier film prometteur d’Emir Baigazin, Leçons d’harmonie dégage une quiétude trompeuse, l’oppression latente d’une intendance morale et étatique. La mise en scène, sèche et exigeante, avec une maîtrise certaine de la composition et du cadre, témoigne pourtant d’un aspect corseté et déjà vu.
On dirait que Baigazin s’est contenté d’appliquer à la lettre le Petit Michael Haneke illustré, et sa rigueur formelle semble trahir un manque d’ambition et/ou de caractère, faisant et refaisant ce qui a déjà était fait et refait chez les autres (Tsai Ming-liang, Ulrich Seidl, Carlos Reygadas, Sergeï Loznitsa…). Et sa fable, lourde d’une symbolique sur la nature humaine qui insiste à dire et à signifier (sévices sur les animaux, documentaires explicites à la télé, fourmis dévorant un ver de terre, salle de jeux vidéo comme un eldorado trompeur…), s’achève sur une dernière image singulière, surprenante croit-on, mais surtout très maladroite.