Il est professeur de philo, parisien indécrottable, chemise ouverte à la BHL et col roulé pour faire genre, prend son petit déj’ aux Deux magots où traînent les fantômes de Sartre et d’Hemingway, va à des soirées branchées où il a l’air de s’emmerder et croise une ex qui lui assure son incapacité à s’engager. Elle est coiffeuse à Arras, midinette dans l’âme, a des goûts ordinaires, voit la vie en rose et en mille et une couleurs, a toujours le sourire et kiffe les soirées karaoké où elle s’époumone sur de la soul et du zouk. C’est l’intello bècebège contre la godiche ingénue. Philosophie contre bigoudi. Kant contre Voici. Et Lucas Belvaux au milieu qui compte les points. Et nous qui bâillons, gentiment.
Quand un stéréotype croise un autre stéréotype, qu’est-ce que ça donne ? Pas grand-chose. Pas d’étincelles, pas d’émotions. Quelques éclats et quelques rires, au mieux. Romance badine et cruelle en forme d’impasse existentielle sur nos différences, nos préjugés et nos façons d’aimer, Pas son genre côtoie trop souvent le niveau d’un machin-truc d’AB Productions en quête de reconnaissance : dialogues insipides et rythme mal fichu, situations convenues (la scène de rupture du générique, d’un ridicule appuyé) et clichés jamais loin de tout saborder (même si le film repose justement sur ces clichés, pas si farfelus que ça). Il y avait pourtant matière à vraiment disséquer l’échec des sentiments, à creuser davantage, et peut-être même jusqu’à l’abîme, le thème de la discorde culturelle contrecarrant la passion amoureuse. Et ne pas effleurer, simplement, la mécanique sociale impitoyable qui broie l’illusion d’une rencontre (déjà incertaine à la base).
Ça s’arrange vers le milieu du film, une fois la liaison Clément / Jennifer amorcée, et quand Belvaux parvient à saisir, loin de la comédie potache qu’inspirait pareil sujet, l’inégalité des rapports qui désunit deux amants. Il aime les choses assez classes quand elle met des paillettes pour aller au restaurant. Il ne connaît pas Jennifer Aniston, elle est incollable sur la vie des peoples. Il adore lui lire des livres, elle préfère chanter à tue-tête. Il semble profiter d’elle, l’aimer sans lendemain, elle est sûre de son affection pour lui. On dit toujours que les contraires s’attirent. Qu’être complémentaire, c’est bien. Mais le conte de fées ici n’aura pas lieu.
Clément rentrera seul à Paris, au milieu de ses livres et de ses gloires d’écriture, et Jennifer aura disparu, tout emporté avec elle (la fin manque de nuance, et conclure sur Jennifer qui, entre rires et larmes, clame son amertume sur I will survive, tolérait plus d’intensité et de rigueur). Belvaux en tout cas n’en juge jamais aucun, traque leurs défauts respectifs, leurs certitudes et leur sensibilité, les détails anodins aussi, les réflexions l’air de rien, tout ce qui les sépare inévitablement. Émilie Dequenne et Loïc Corbery sont épatants, surtout elle, pétillante, dans ce rôle qui lui va comme un gant. Mais, à l’image de Clément, falot et indécis, le film donne envie qu’on le violente, qu’on le gifle un bon coup pour qu’enfin il s’anime et nous touche, au mieux.