Elle a fait peu de films, Pascale Ferran. Quatre seulement. Peu de films, mais que des beaux. Elle avait déboulé, en 1994, avec Petits arrangements avec les morts, belle histoire de souvenirs et de mort qui mariait, en un écho discret, Chéreau à Desplechin. Et puis il y avait eu la consécration avec Lady Chatterley en 2006, avec cinq Césars à la clé et la découverte, éblouissante, de Marina Hands. Et puis aujourd’hui il y a Bird people, une histoire de gens et une histoire d’oiseaux qui se touchent, qui s’accolent et se répondent. Une histoire entre Audrey, jeune femme de chambre discrète et rêveuse, et Gary, ingénieur informatique en plein burn-out. Une histoire ordinaire qui devient extraordinaire.
Perdus tous les deux dans les couloirs immenses de ces hôtels et de ces halls à Roissy, chacun va vivre, le temps d’une nuit, une expérience qui va les confronter à leurs propres choix. Le temps d’une nuit, Gary va comprendre qu’il veut changer de vie, genre tout balancer, genre le boulot, sa femme et ses enfants, et puis partir, et puis vagabonder. Gary veut être un homme nouveau (il s’appelle d’ailleurs "Newman"). Le temps d’une nuit, Audrey va se transformer en moineau sans que l’on sache pourquoi, pour quelle raison ou par quelle magie, et Audrey ne s’en étonnera guère, et Audrey n’aura pas peur, préférant saisir (au vol) cette incroyable liberté qui lui est soudain offerte, comme un cadeau.
S’envoler au-dessus des pistes, surprendre ces personnes dans leur intimité, dans leurs conversations, dans leurs envies, dans leurs joies, et se sentir animée, vive dans le ciel et dans l’air… Bird people parle de ça, communiquer, écouter, exulter chaque jour sans rien attendre davantage d’une société où les joueurs de piano ne sont plus là, virtuels eux aussi, où chacun semble à part, déconnecté et loin des autres. Seul. Si la première partie du film, qui commence bien (flux, énergies et bruissements de la vie de tous les jours), finit par tourner en rond autour de Gary (ses contrats, son travail, son licenciement, son épouse…), la deuxième en revanche ose pas mal, gonflée tout à coup, audacieuse, casse-gueule mais surprenante.
Ferran, tout au long de son film, tente des choses (voix off, digressions, ruptures…), pas toujours avec succès d’ailleurs, parfois elle trébuche, mais elle cherche à s’étonner, à nous surprendre, à déceler l’air du temps, du ras du sol à l’immensité de l’azur. Il y a deux ans, presque au même instant, Leos Carax signait Holy motors qui, lui aussi, savait nous troubler en se risquant à l’imprévisible. Ferran fait pareil et se hasarde à filmer un oiseau qui observe le monde, sauvage et triste, tout autour de lui (des chats et des hiboux méchants, des gens qui dorment dans leur voiture…). Et de conclure sur une continuation, un champ des possibles, une rencontre simplement. Une poignée de main et une nouvelle histoire qui peut commencer. Une histoire de liberté. Une histoire, la nôtre.