Il a pas l’air comme ça, Dwight, mais faut pas le chercher. Sous ses allures de clochard hirsute et barbu, impassible dans sa Pontiac bleue moribonde près de la mer, il a quelque chose d’insignifiant. Un type qu’on ne remarque pas. Qui bouffe dans les poubelles. Mais qui a un passé, une histoire, un poids qu’il traîne et qui l’a traîné à ça, vagabond dans une Pontiac au bord de la mer. Quand il apprend que le meurtrier de ses parents vient d’être libéré, il n’hésite pas. C’est son heure. Celle de la vengeance froide et pure. Mais on ne s’improvise pas justicier comme ça, et cette odyssée sanglante prendra une dimension tortueuse, absurde, où le monde s’entre-tue sans réfléchir et sans comprendre, confronté d’abord à ses instincts les plus indignes.
Deuxième long-métrage de Jeremy Saulnier (après un Murder party passé inaperçu), Blue ruin est un polar troublant et rugueux qui va à l’épure, qui va à l’os, sans ergoter (en dépit d’un rythme languide). Saulnier refuse toute psychologie (ou alors ramenée à quelque chose de sommaire, de vital), rejette toute émotion, banni toute justification. Les dialogues sont rares, les écarts superflus, les situations réalistes. Un type enfermé dans un coffre de voiture, ça braille, ça geint, ça embarrasse. S’enlever une flèche de la jambe ne se fait pas en tirant simplement dessus, non, il y a la douleur et il y a tout ce sang, coulant, collant.
L’ombre des Coen plane sur le film (mélange d’humour noir, de poisse inéluctable et de sens du détail saugrenu), mais Blue ruin impose rapidement sa propre cruauté, décide de ses propres exigences au fil d’un scénario succinct, mais souvent imprévisible. Dans une Amérique désolée, obsédée par les armes et la loi du talion, Dwight n’a aucun mal à mener sa croisade revancharde jusqu’à son terme, sans qu’on l’en empêche une seule seconde (flics fantômes, sœur compréhensive, ami d’enfance bien armé). Macon Blair, avec son physique banal et passe-partout, se révèle idéal, ad hoc dans la peau de cet anti-héros maladroit mais teigneux. Son visage lisse, poupon presque, ses yeux ronds ahuris, finissent par intriguer, par fasciner. Il est ce visage ordinaire, inattendu, d’une violence qui n’en finit pas de gronder.
Jeremy Saulnier sur SEUIL CRITIQUE(S) : Green room, Hold the dark.