Il a un chapeau et un long manteau noir, de grands doigts comme de grandes griffes pointues et une bouche terrifiante avec un sourire terrifiant. Il pousse de drôles de bruits qui effraient, sifflements, souffles, râles, cris. On dirait un mélange entre le Joker et le Pingouin. On dirait qu’il a de larges ailes, sombres, qui se déploient quand il se fâche, à la fin. Il rampe au plafond. Il se cache. Dans la cave, les armoires, les coins de ténèbres. C’est le Babadook, nouvelle figure du croque-mitaine pour enfants pas très sages et adultes aimant se faire peur. Un monstre qui triture, qui trifouille l’âme et en extrait les pires névroses pour démolir raison et volontés.
Ce monstre, c’est ce trou noir qu’est l’absence du père au sein d’une famille, disparu il y a sept ans au moment de la naissance du fils. Ou serait-il, ce monstre, la matérialisation du désarroi d’une mère face au rejet inconscient de son fils (Noah Wiseman, impressionnant), symbole de la disparition du mari ? Ou de l’affolement d’un enfant face à l’abandon et à la mort ? Toutes les interprétations sont bonnes, se valent, de la plus rationnelle à la plus tourmentée : frustration sexuelle, dérèglement maternel, troubles relationnels, psychose meurtrière… Le film est parfois un peu lourd dans ses effets, même si la forme du conte permet d’en assumer plus ou moins les excès.
Le film pioche de-ci de-là dans l’expressionnisme allemand, le cinéma de genre, les phobies enfantines et l’univers de Tim Burton (les personnages ont tous des têtes étranges, de la sœur à l’officier de police en passant par les deux employés sociaux). Une maison aux couleurs passées, un livre étrange aux illustrations inquiétantes (joli travail d’Alex Juhasz), des insomnies répétées, un garçon un peu dérangé, une mère un peu dérangée aussi… Avec presque rien, Jennifer Kent fait beaucoup, sécrète une angoisse sourde qui intimide parfois (la crise de Samuel dans la voiture), mais ne parvient pas à la canaliser dans le dernier tiers en croyant bon d’accentuer ce qui était de l’ordre du non-dit, du larvé, du grouillant, et la magie morbide, insolite au commencement, cesse alors de subjuguer, et le Babadook n’est plus soudain qu’une pantomime vaguement horrifique vidée de sa substance première : le drame cruel et intimiste d’un désamour irrévélé.
Jennifer Kent sur SEUIL CRITIQUE(S) : The nightingale.