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Saint Laurent

On pourrait médire, facilement : ce serait comme s’il fallait opposer populaire et élitisme, impie et sacré. Préférer la grâce au médiocre, facilement. La comparaison s’impose de fait, sans mépris, sans dédain, et on ne peut, et on ne pourra y échapper, c’est comme ça. À quelques mois d’écart, le spectre filiforme de Saint Laurent a droit encore à mille égards, mille révérences consacrant son talent et ravivant sa gloire. Hier déjà, un film compassé et mou, sans éclat, de Jalil Laspert, adoubé par Pierre Bergé et sauvé par l’interprétation transie de Pierre Niney. Aujourd’hui donc, une parure sauvage de Bertrand Bonello, rejetée par Bergé et emportée par la présence envoûtante, saillante, de Gaspard Ulliel.

Si donc la comparaison s’impose, elle ne fait aucun doute quant à son achèvement, s’il fallait en dresser un. Bonello l’emporte. Bonello l’emporte haut la main, par knock-out. Là où Lespert s’enfonçait dans les conventions d’un biopic tiède, Bonello se confronte aux noirceurs luminescentes d’un artiste tourmenté, fébrile fragile. Son Saint Laurent est un kaléidoscope, une déambulation soyeuse et morbide faite d’allers-retours, de fugues, de merveilles et de limon… Bonello fragmente, déconstruit, mélange les époques et les âges, télescope création haute couture, passions folles (Bergé et de Bascher, sa Némésis) et décadences notoires (drogue, alcool, excès…), enlace visions saisissantes (serpents, mannequins rouges, fauteuil gynécologique…) et culture du Siècle (Schuhl, Warhol, Klaus Nomi, le Velvet, et Proust en gardien du temple…) dans une même caresse de crin.

Dans les dancings souterrains, les buissons au hasard et les terrains vagues, en gravats, gravier et chantier, en cuir et pilules, Saint Laurent s’oublie. Puis crée. Puis s’oublie encore. Pour créer encore. Les femmes sont là aussi, bien sûr, intemporelles, éternelles comme des diamants, des rubis, elles dansent, elles valsent, elles soignent, il y a Loulou, il y a Betty, et la mère, qui couve… Et La Callas à la fin dont la voix, toujours quand elle s’élève, procure le frisson. La partie la plus fascinante, et qui mériterait un film à elle seule, reste la relation vandale entre Saint Laurent et de Bascher (rencontre foudroyante en travelling héroïque), dandy minéral, noceur insatiable, favori de Lagerfield et de tant d’autres, que sublime le jeu magnétique de Louis Garrel et Ulliel qui se séduisent tels deux grands félins.

Bonello n’escamote rien du mythe, diva désabusée, blasée et camée, génie midinette amoureux d’un homme dont on confisque frasques et baisers, et d’un autre qu’il rejette mais dont il a besoin, pourtant. Bonello pratique l’audace, l’ambition, l’extase. Rien ne l’empêche, tout l’inspire, et jusqu’à la fin quand Helmut Berger apparaît, majestueux en icône boudeuse et fanée, recluse dans son appartement comme un mausolée, un tombeau de dorures. Souvenirs partout, en abîmes, en miroirs, souvenirs de taffetas et de velours, d’organza et de mousseline, de genoux à terre, de bravos, de visages et d’un défilé flamboyant. Souvenirs partout pour paradis perdu.
 

Bertrand Bonello sur SEUIL CRITIQUE(S) : L’Apollonide - Souvenirs de la maison close, Nocturama, La bête.

Saint Laurent
Tag(s) : #Films, #Cannes 2014

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