Mysterious skin, ça fait déjà dix ans, et Gregg Araki ne s’en est jamais remis, et nous non plus d’ailleurs. Joseph Gordon-Levitt, en giton fanfaron, n’avait pas encore joué chez Christopher Nolan et Araki affinait là son style d’avant un peu foutraque, un peu clinquant (The doom generation, Nowhere). Avec White bird, Araki a clairement tenté de faire un nouveau Mysterious skin, nouveau choc émotionnel pour la décennie à venir, en reprenant les éléments fondateurs de son chef-d’œuvre : adaptation d’un roman de Laura Kasischke (de Scott Heim pour Mysterious skin), Robin Guthrie à la musique (toujours aussi planante, toujours aussi magnifique), mise en scène aérienne et atmosphérique, drame intimiste dont la vérité claquera dans les dernières minutes.
Sans être totalement raté, White bird n’atteint pas une seconde la poésie et l’intensité indescriptibles de son œuvre maîtresse (et s’il avait fallu ne pas le comparer à celle-ci, la sentence eut été la même), Araki échouant surtout dans la structuration de son récit. Portrait d’une femme qui n’est plus là et de sa fille qui s’envole, White bird met en parallèle le passage à l’âge adulte (dans la perception de sa sexualité principalement, de la douceur d’un petit copain à la virilité d’un flic de 40 ans, que Kat résumera d’ailleurs assez vertement : "Je veux de la bite") et l’abîme existentiel d’une mère amère, frustrée, prisonnière d’un quotidien desperate housewive, et qui voudrait se sentir revivre, un peu, au moins.
White bird ne cherche pas à aller plus loin que ce schéma de rapprochement (et de dislocation) d’où rien n’émerge franchement (une jolie scène en discothèque sur fond de Depeche Mode, deux ou trois onirismes kitsch…), et ce jusqu’à un twist final un peu grossier, quasi dispensable, en tout cas très mal amené. Les thèmes majeurs censés se révéler (désenchantement filial, émancipation adolescente réduite à des discussions entre amis sur le sexe avec une black en surpoids et une folasse malingre ; bonjour la vision du minoritaire) subsistent alors comme ils peuvent, se distinguent à peine de cette inertie scénaristique (et pas aidés non plus par un montage tout mou). On hésite aussi sur le jeu d’Eva Green, entre constance grimaçante et grandeur d’une interprétation à l’ancienne (ses apparitions dans l’escalier de la cave, très Gloria Swanson). Puis on hésite sur Araki finalement. Esthète fantaisiste et lumineux, ou petit malin dépassé par ses ambitions ?
Gregg Araki sur SEUIL CRITIQUE(S) : Mysterious skin, Kaboom, Now apocalypse.