Il y a toujours quelque chose de frustrant quand un film vous enlève et vous enlace comme ça, vous traîne bizarrement dans la tête, mais quand vous sentez qu’il manque un truc sans savoir pourquoi, sans pouvoir y poser des mots. Pas grand-chose non, mais un truc important, un truc nécessaire et qui vous laisserait baba avec des fragments de sentiments qui vous déchiquettent. Est-ce un détachement latent, ce rythme un peu décousu peut-être, une maladresse diffuse dans l’expression du propos, celui d’un homme qui en sauve un autre, du fond de l’océan où un autre encore y restera, et qui le suit loin parce qu’il l’aime en laissant derrière lui sa mère, son petit frère et une ville rongée par le sel ?
Praia do futuro se construit par ellipses gigantesques, temporelles et géographiques. En double territoire, en oppositions, en rapprochements. Fortaleza et Berlin, Donato et Konrad, Donato et Ayrton, amant et frère, soleil et gris, mer et ciel… Il y a peu de dialogues ici, peu de psychologie qui chercherait à tout élucider, Karim Aïnouz y préférant des sensations passagères (scène superbe de danse syncopée en discothèque), un assouvissement des corps et des visages, la pulsation des lieux et des villes. En trois chapitres, Praia do futuro raconte l’oubli et l’absence, celle d’un pays et de ses racines, d’un frère qui s’est enfui, par lâcheté et par désir aussi, et révèle l’amour filial ou plus physique dans lequel on aime s’abandonner. Dans lequel Donato revit et s’ensorcelle.
Aïnouz filme avec pudeur et tendresse, avec l’envie de tout aimer, de tout sublimer. Son film sait troubler, il sait envoûter, c’est un flot d’images qui se défont de la parole, charnelles et parfois déroutantes : deux hommes face aux vagues fracassantes, les défiant même, une danse sur Aline de Christophe comme un bateau ivre, un aquarium géant tel un vaisseau extraterrestre… Et puis des plages, deux plages au commencement et à la fin, l’une pleine de chaos, très violente et très bleue, l’autre qui n’est plus là, une ligne à l’horizon, blafarde et nue. Et puis des motos, deux motos au commencement à la fin (magnifique, cette fin), qui foncent dans le brouillard, se croisent, se suivent, se succèdent, puis s’éloignent enfin pour disparaître, s’évaporant presque. Dernière accélération, dernier souffle (ou serait-ce un soupir ?) d’un film qui vibre, mais dont l’écho a quelque chose d’assourdi. De perdu.