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Pasolini

Il y avait cette scène dans le Journal intime de Nanni Moretti. Il y avait cette scène magnifique au son du piano de Keith Jarrett quand Moretti, sur son habile vespa, longe la plage d’Ostie et s’arrête à l’endroit où fut assassiné Pier Paolo Pasolini en cette nuit du 1er novembre 1975. Abel Ferrara lui, admirateur de longue date du trublion anticapitaliste, a fait un film en entier, un film-hommage à Pasolini, une chronique intime et éclatée comme celle que l’on a pu voir, dernièrement, sur Saint Laurent. Un film s’amorçant sur les notes sublimes de la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach qui résonnent fort en nous, puis s’élancent en un chœur qui nous affole.

Quelques images de Salò dans une salle de montage, les lointaines résonances de sa dernière interview, et puis le visage de Willem Dafoe qui apparaît, qui surgit de l’ombre. De ce film imparfait, libre et foutraque, c’est ce qui est et restera le plus fascinant, ce visage-là. Celui de Dafoe, habité et évident, en Pasolini derrière d’épaisses lunettes. Ce même visage émacié, ces mêmes rides et ces mêmes traits volontaires à la Egon Schiele, marqués et captivants. Ce visage dont il ne restera rien, rien qu’une dépouille chiffonnée laissée à terre sur un terrain vague. À ce sujet, sa longue mise à mort finale a quelque chose de gênant, d’indécent presque, laissant la pénible impression d’avaliser un sensationnel qui n’aurait pas sa place ici.

Indépendamment des faits jamais clairement établis autour de la mort de Pasolini (assassinat politique ? Représailles de la Mafia ? Crime homophobe ? Ferrara et son scénariste Maurizio Braucci semblent d’ailleurs statuer sur cette dernière hypothèse) et débattus encore aujourd’hui, sa violence forcée est comme une contre-nécessité à l’émotion diffuse du film, à sa douce nostalgie qui nous rappelle Pasolini le poète, Pasolini le théoricien, le scandaleux aussi… Braucci et Ferrara bâtissent leur objet de culte en trois niveaux de lecture qui serait comme un work in progress des ultimes travaux du cinéaste, de Petrolio, son roman inachevé, et du scénario de Porno-Teo-Kolossal, qui devait être son prochain film.

Mais la transposition, assez laborieuse, de Porno-Teo-Kolossal (avec une scène d’orgie évoquant l’érotisme païen de la Trilogie de la vie) par un Ferrara qui paraît empêtré dans un filmage sans grâce ni inspiration, vient troubler la simple et belle évocation de cette dernière journée entre écriture, amis, repas, entretien avec le journaliste Furio Colombo et chasse aux mauvais garçons, ces ragazzi aux physiques bruts que Pasolini vénérait. C’est La Callas à la fin (elle joua pour Pasolini dans Médée, son seul rôle au cinéma) qui accompagne les ultimes instants de cette élégie à un artiste passionnant, engagé et exalté, et toujours, et furieusement de notre temps. "Il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contres les autres", disait-il.


Abel Ferrara sur SEUIL CRITIQUE(S) : The addiction.

Pasolini
Tag(s) : #Films

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