Il serait déplacé de réduire Carol à Cate Blanchett uniquement, à elle et à elle seule ; mais quelque chose nous en empêche, quelque chose nous retient… Elle n’a même pas besoin de parler, de dire ou de faire, il lui suffit juste d’être là et de resplendir, en pure matière de fascination. Cate, cet éclatant objet du désir… Son regard félin, ses lèvres rouges incroyables, sensuelles et presque indécentes, cette voix un peu rauque, envoûtante pas mal, et cette allure divine, quelque part entre la classe de Lauren Bacall et le naturel de Bette Davis. Elle est sublime en grande bourgeoise des années 50 virevoltante dans son vison, rattrapée par ses passions que réprouve une société américaine pudibonde, macérant dans ses schémas ultra conventionnels.
Face à elle (et tout contre elle aussi, plus tard), Rooney Mara compose une autre partition, évolue sur un autre registre, plus fragile, plus sensible, introvertie, prête à s’émanciper à l’avenir. Therese, c’est nous. C’est nous succombant au charme de Carol dès ce premier regard échangé dans un grand magasin, appuyé, soutenu, ouvert déjà sur d’invisibles promesses… Une rencontre, une envie, une histoire d’amour le temps d’un improbable road movie… Ce cheminement sentimental passe par les silences et les regards, s’arrange des gênes et des rires, Todd Haynes et sa scénariste Phyllis Nagy cherchant d’abord à décrire le mécanisme et les oscillations du désir qu’à en montrer l’abandon total, de sueur et d’exubérances.
Pourtant, oui pourtant, cette retenue laisse de marbre, distrait et lointain ; pire, elle laisse indifférent. L’émotion ne parvient guère à poindre ou à submerger (au mieux). Elle est comme figée, retenue prisonnière de cet écrin où tout est absolu, où tout est perfection (la mise en scène élégante, la photographie d’Ed Lachman, la musique de Carter Burwell…), mais étrangement désincarné. Un bel objet vintage comme dénué de personnalité malgré son sujet (adapté d’un roman de Patricia Highsmith) et la grâce évidente de ses actrices. Et même dans ce qu’il a à dire (ne pas aller contre sa nature, choisir de ne pas s’interdire), Carol échoue à soutenir l’expression et la modernité de son propos.
Todd Haynes sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le musée des merveilles, Dark waters, May december.