Comment on pourrait leur dire, aux Américains ? Comment leur expliquer ? Comment leur faire comprendre qu’être amoral et irrévérencieux, ce n’est pas seulement dire des grossièretés toutes les dix secondes et balancer de pitoyables gerbes de sang en images de synthèse ? Que c’est plutôt un état d’esprit, quelque chose qui ne se programme pas, et pas une option marketing décidée en amont par une industrie sûre de ses petits effets "politiquement incorrects" ? Annoncé comme LE contre-pied égrillard à toutes les autres figures Marvel, intègres et bien élevées (chiantes quoi), avec anti-héros forcément badass à la clé, ce Deadpool n’a pourtant d’impertinent que sa volonté à nous vendre du rêve (qui tache) pour finalement nous refourguer une aimable cochonceté.
Dommage : il y avait de quoi faire un truc vraiment outrageant vu le matériau de base. Mercenaire borderline qu’une expérience, censée le guérir d’un cancer généralisé, transforme en mutant imprévisible et psychopathe (dans les comics en tout cas, mais relégué ici à un baratineur surexcité) doté d’un pouvoir de régénération égal à celui de Wolverine, ce personnage déjanté créé par Rob Liefeld et Fabian Nicieza acquiert là son statut d’icône sagement décalée prompte à ravir les amateurs de cosplay et d’insolence passe-partout. La mise en scène, insignifiante, de Tim Miller (Tim qui ?) se contente d’enfiler les plans moches dans des décors moches avec une lumière moche, simple pis-aller, prétexte formaliste pour "valoriser" avant tout un humour noir calibré, criblé de punchlines pas toujours convaincantes, et procurant (parfois) un vague plaisir régressif sachant entretenir l’intérêt de la chose.
Le scénario, faiblard et sans surprises (Deadpool veut se venger de son "créateur", bouh), fait de Deadpool une espèce de méchant petit garçon trop conscient de sa trash attitude, et tente de combler un manque criant d’ambition et de spontanéité par une autodérision constante, des apartés aux spectateurs, quelques tubes des années 80 et une violence un poil aseptisée dont le film, pourtant, semblait vouloir repousser les limites. Meilleur que Les gardiens de la galaxie (irregardable au bout de quinze minutes), moins bon que Kick-ass ou le super Super, Deadpool n’est jamais qu’un pauvre type en lycra rouge encore coincé au stade anal qui enchaîne les triples saltos et les vannes pourries dignes d’un stand-up pour puceaux libidineux. Pas de quoi s’ébaubir donc, à moins de croire que l’anticonformisme se résume à cracher sur les X-Men et un gode ceinture dans le cul.
Tim Miller sur SEUIL CRITIQUE(S) : Terminator - Dark fate.