C’est le genre de film à propos duquel quasiment tout (et en un temps record) a été dit, entendu et réentendu, et dont on ne sait plus vraiment quoi dire, après coup : la séquence pré-générique sur l’autoroute, le couple Emma Stone et Ryan Gosling, alchimique à mort, les quelques numéros dansés (euphorisants certes, mais pas renversants : il suffit de voir Gosling, un peu grippé aux entournures dès qu’il s’agit d’esquisser un entrechat, pour s’en rendre compte), Hollywood et sa fabrique à chimères, le jazz, la joie de vivre et les oh là là, la nostalgie et les comédies musicales d’un âge d’or lointain, de Vincente Minnelli à Gene Kelly en passant par Jacques Demy.
Ce n’est pas tant de réaliser, jusque dans ses plus infimes détails (et qui aurait valeur ensuite de mètre étalon, et le succès du film confirmerait cette possible, et fâcheuse, hypothèse), une nouvelle comédie musicale qui a intéressé Damien Chazelle, mais d’en retrouver, d’en célébrer l’esprit et les gammes par le biais d’innombrables (et inévitables) références (tout est là) régurgitées du conscient de l’histoire du cinéma (et de Chazelle). Pour autant, le jeune réalisateur donne la désagréable impression, au moins dans la première demi-heure, de vouloir d’abord épater la galerie avec d’incroyables (faux) plans-séquences ramenant l’exercice chorégraphique à une sorte de clip (par exemple ça, oui ça, finalement tout aussi élaboré et standard) dont l’audace se réduirait à sa seule (et très visible) logistique en y oubliant sa singularité, son supplément d’âme.
Puis La La Land s’apaise, se décide à moins fanfaronner (les numéros de danse se raréfiant, concentrés principalement en début et en fin de film). C’est qu’au-delà de ses oripeaux glamour, ses froufrous et ses claquettes, La La Land a une histoire à raconter, une histoire d’amour reprenant les jalons, classiques, de l’idylle purement hollywoodienne : rencontre, antagonisme, passion, rupture, regrets, rideau. Soit une prétendante actrice et un pianiste qui rame, doux rêveurs à leurs heures, cherchant un sens à leur vie, une légitimité à leur art et une continuité à leur amour face au temps qui passe, au temps naguère d’avant de jadis (ce "monde d’hier", si cher à Stefan Zweig) qui n’est plus en phase, oublié et laissé de côté, au temps rêvé enfin, malléable à la faveur d’un "et si" poétique qui, sans prévenir, rejouera le film à toute allure sur une nouvelle partition, idéale mais illusoire.
La romance est gentillette, les couleurs chatoient, L.A. scintille, mais, comme dans Whiplash déjà, Chazelle a du mal à faire exister d’autres personnages sinon ses deux et uniques tourtereaux (c’est, entre autres, assez flagrant avec le patron de Sebastian, les amies de Mia ou son mari…), le film s’ajustant, sur au moins deux tiers de sa durée, dans la simple (dé)construction de son couple star avec des gens qui sautillent autour, des pis-aller, des formes vagues, et dans la rumination de l’amour déçu, l’amour chagrin, perdue dans une mécanique implacable d’hommage aux musicals et screwball comedies qui ravira tout sur son passage (la mesure, les cœurs, les critiques et des Oscar par milliers). Car davantage que les rêves (qu’ils soient brisés ou accomplis, ou même poursuivis), c’est bien l’amour qui, en point central de La La Land, est le grand perdant de la vie, qu’on la chante ou l’imagine, qu’on la danse ou la subit, et le spectateur aussi, terrassé, vaincu par tant de beauté et de perfection qui, pourtant, laisse constamment en retrait, un rien indifférent.
Damien Chazelle sur SEUIL CRITIQUE(S) : Whiplash, First man, Babylon.