Dans la nuit, et sans qu’elle sache pourquoi (ni de quelle manière), une queue a poussé au derrière de Natasha, une queue épaisse et longue. Une excroissance de chair qui pend comme une queue de lionne ou de kangourou, autonome et grossière. Voilà le point de départ absurde à la Roland Topor ou Franz Kafka qu’Ivan I. Tverdovsky s’ingénie toutefois, constamment, à ancrer dans une réalité brute, quasi documentaire (caméra à l’épaule, éclairages secs, âpreté du quotidien russe…). On sent d’ailleurs Tverdovsky appartenir à cette nouvelle garde de cinéastes de chez Poutine (Kirill Serebrennikov, Yury Bykov, Anguelina Nikonova, Valéria Gaï Guermanika…) qui paraît s’être débarrassée de l’héritage d’Andreï Tarkovski en se tournant vers un cinéma plus rugueux, plus concret.
Mais Tverdovsky s’entête à dévier, à louvoyer (entre naturalisme et fantaisie), délaissant son postulat de base qui, s’il ne sert finalement que de prétexte pour parler avant tout d’une cinquantenaire reprenant goût à la vie, est trop souvent mis de côté. Et Tverdovsky de donner à voir ce qu’aurait pu, réellement, être son film lors de deux scènes troublantes entremêlant malaise et bizarrerie, à fort pouvoir cronenbergien (celle du bain et celle dans la cage où Natasha et Pétia font "l’amour"). Zoologie ne fait qu’esquisser ce film-là, rabotant sa singularité (et sa potentialité) pour ne livrer, in fine, qu’un portrait attendu d’une femme sans éclat qui semble revivre tout à coup, ou plutôt vivre pour la première fois.
Le pouvoir nocif (les ragots, la gêne, le rejet…) et attractif (éveil des sens, émancipation, désir de l’autre…) de l’étrange appendice met en exergue ce que Tverdovsky racontait déjà dans Classe à part, son premier long métrage : cette différence que l’on rejette, cette marge que l’on banni, cette difficulté d’être soi par rapport à ce qui nous entoure. Dans une Russie archaïque (indifférence des médecins, vétusté des hôpitaux…) et abandonnée (à l’image de ces animaux en cage qui tournent en rond, comme laissés à leur sort), avec la mer comme seul horizon envisageable, Natasha, coincée entre vie grisâtre, brimades au bureau et mère bigote à la maison, souffrira de cette différence parce que le monde, autour d’elle, ne sait imposer que mépris et normalisation.