Le soleil est chaud et bouillant comme un jet d’urine, et le ciel bleu monochrome est rouge comme le sang qui s'épanche, et la pierre dans la fournaise luit comme de l’or en barres à la lumière furibarde. Cet or pour qui une peintre et un écrivain (que lie une ancienne relation teintée d’expériences sadomasochistes), un avocat, un flic et trois malfrats vont se battre, faire hurler la poudre et leurs calibres jusqu’à la mort. Voilà donc pour l’intrigue, qui ne fera pas plus compliqué : une vieille bâtisse perdue dans la campagne minérale du Sud, des lingots qui rendent marteau et des coups de feu à n’en plus finir. Pour leur troisième long-métrage, Hélène Cattet et Bruno Forzani adaptent le polar seventies de Jean-Pierre Bastid et Jean-Patrick Manchette en y apposant leur écriture formelle.
Délaissant l’hommage au giallo de leurs deux premiers films, Cattet et Forzani se tournent cette fois-ci vers celui du western spaghetti dont le genre sied à merveille au duel infernal qu’ils mettent en scène avec horizon écrasé de chaleur, violence expressive, crépitement des revolvers et nostalgie foutraque, quelque part entre Sergio Leone et Sam Peckinpah revisités par un Jean-Pierre Mocky stylé. Tous ses gimmicks y sont réemployés jusqu’à une forme d’usure (zooms agressifs, gros plans sur les regards, musique d’inspiration morriconienne…) et dans un magnifique festival de couleurs saturées (noir, bleu, jaune, rouge), entremêlés aux maniaqueries habituelles des deux réalisateurs, d’affolants crissements de cuir à leurs anaphores visuelles en passant par ce travail ultra pointu sur le son où le moindre bruit est accentué, multiplié par dix.
Mais Cattet et Forzani n’ont visiblement pas retenu les erreurs passées d’Amer et de L’étrange couleur des larmes de ton corps, puisque les renouvelant ici encore et encore. À savoir un bout de scénario qui tourne à vide et des fulgurances esthétiques qui ne suffisent pas à pallier un rythme inégal (le film s’essouffle de ses innombrables points de vue temporels, pourtant présents dans le roman) et des personnages peu développés auxquels on ne s’attache guère, en dépit d’un solide casting de gueules de cinéma dont Elina Löwensohn (féline en diable) et Marc Barbé, à nouveau réunis presque vingt ans après le Sombre de Philippe Grandrieux (et c’en est presque touchant, ça émeut). Cattet et Forzani ont beau sortir le grand jeu (leur film est beau, souvent splendide), ils échouent une fois de plus à aller plus loin que l’exercice de style qui en impose.
Hélène Cattet et Bruno Forzani sur SEUIL CRITIQUE(S) : L'étrange couleur des larmes de ton corps.