Ils sont balèzes, ces Américains. Ils ont le chic pour porter aux nues des héros sans peur ni reproche face à la barbarie du monde, des archétypes de bonté et de courage, des demi-dieux presque. Quand ce n’est pas leur flopée de super-héros jetables ou autres troufions virils et dévoués, ce sont des gens plus ordinaires, des gens de la vraie vie, des gens comme nous et comme Jeff Bauman, l’une des victimes de l’attentat de Boston qui se retrouva amputée des deux jambes. Donc après l’attentat, hop, il écrit un bouquin sur son histoire, et après le bouquin, hop hop, le film vérité avec Hollywood à la manœuvre (et un Jake Gyllenhaal sans surprise dans un énième rôle à Oscar), déjà responsable l’année dernière de l’infâme Traque à Boston qui transformait les évènements d’avril 2013 en un vulgaire épisode de 24 heures chrono.
Même l’attaque du Thalys en août 2015 a droit aujourd’hui aux vivats et à Clint Eastwood (et au pire, vu la bande-annonce), mais seulement parce que trois Américains (deux militaires et leur ami d’enfance) ont empêché, avec d’autres, le drame au péril de leur vie. Sans ces trois-là, il y a fort à parier qu’aucun Américain vivant sur Terre n’aurait entendu parler de cette attaque, et au moins sauront-ils désormais où situer Amsterdam et la Belgique. L’Amérique a en elle cette pulsion, ce besoin viscéral de fabriquer puis mettre en avant des figures héroïques tels un rempart, un remède à ses échecs, ses blessures et ses traumatismes (guerres, attentats, fusillades…), et c’est ce dont parle Stronger (tout comme le récent Un jour dans la vie de Billy Lynn) au-delà de l’épreuve personnelle de Bauman.
Bauman qui rejette d’abord ce statut encombrant de héros et martyr national, avant de comprendre (évidemment) l’honneur qu’est de représenter les valeurs et la grandeur de l’Amérique. Et, sur ce point, Stronger montre assez bien la ferveur citoyenne et médiatique américaine qui s’emballe à la moindre tragédie, pareille alors à un rouleau compresseur que plus rien n’arrête. Mais le film ne peut s’empêcher, dans sa dernière demi-heure, d’envoyer violons, trémolos et blabla emphatique sur ce brave peuple américain (via Bauman) meurtri dans sa chair, ébranlé dans ses idéaux, mais toujours droit dans ses bottes (du moins sur ses prothèses).
Et alors qu’il savait, jusque-là, faire preuve d’une certaine retenue (et même d’un regard assez sévère sur la famille white trash de Bauman), David Gordon Green croit bon de montrer les images choc d’après l’explosion (avec ce qu’il faut de regards hébétés, d’effusions de sang et de membres déchiquetés) pour nous rappeler, au cas où nous aurions fait l’impasse sur l’actualité terroriste de ces vingt dernières années, l’horreur absolue qu’entraîne un tel désastre. C’est tout le relatif crédit que pouvait avoir le film qui s’écroule soudain, le ramenant finalement à ce qu’il cherchait à ne surtout pas être : un banal mélo sur fond de pompe patriotique.
David Gordon Green sur SEUIL CRITIQUE(S) : Halloween.