Les maisons sont pastels, elles sont vertes, jaunes ou roses, les hôtels ressemblent à des châteaux qu’on aurait peints en des déclinaisons de mauve ou de bleu, les magasins sont en forme d’orange, de cornet de glace et même de magicien. Pas loin il y a Disney World, sa féérie, ses touristes et ses feux d’artifice, mais pas ici. Ici c’est le bas-côté, c’est l’envers du décor, ce sont ces familles pauvres qui s’entassent dans ces motels multicolores le long des highways d’Orlando, qui vivent comme elles peuvent pour assurer leur quotidien et celui de leurs enfants. Parce que des enfants il y en a partout, ils braillent, ils courent, ils s’amusent, font des bêtises, mangent des cochonneries, rient sans cesse et fort.
Dans cet Éden paupérisé, Halley et Moonee, sa fille de six ans, occupent la chambre d’un hôtel, le Magic Castle, géré par le bienveillant Bobby (Willem Dafoe, magnifique de présence, d’autorité et de douceur). Entre glandouille et débrouille, Halley fait avec les moyens du bord pour subsister (acheter à manger, payer la chambre…), tandis que Moonee et ses amis font les quatre cents coups alentour. Sean Baker transcende cette espèce de cour des miracles, ces ruines du rêve américain à l’ombre de Mickey pour en faire un royaume (dés)enchanté où plus grand-chose n’aurait d’importance, de tragique et d’insurmontable, sinon le simple rire des enfants.
Opposant leur insouciance à une existence peu glamour (pauvreté, prostitution, pédophile qui rôde…), confrontant couleurs acidulées à noirceur des situations, Baker fait œuvre d’équilibriste pour ne sombrer ni dans une mièvrerie trompeuse ni dans un misérabilisme plombé (de fait, les évènements venant conclure le film paraissent inutiles et un rien forcés), faisant d’une réalité que l’on devine moins réjouissante et photogénique que ça un terrain de jeux bariolé pour miséreux célestes et marmaille conquérante. Emmené par une bande d’acteurs épatants et vociférants, The Florida project paraît arrêter le temps et les emmerdes, porter la marginalisation au-delà de notre regard, au-delà du monde, over the rainbow, et parce que ce sont des enfants qui la regardent en en faisant, soudain, des milliers d’étincelles.