Ceci est une histoire vraie, si vraie et si éloquente sur ce qu’elle dit de la déraison du pouvoir et de l’abîme immensément humain. Nous sommes en 1945, la guerre en est à ses derniers soubresauts et l’armée allemande agonise. Déserteurs, pilleurs, voleurs, violeurs, les soldats du Führer ne semblent plus que des bêtes livrées à elles-mêmes à travers le pays, confrontant le régime nazi à une situation qu’il se devait d’endiguer (en arrêtant, emprisonnant et jugeant les brebis galeuses). Parmi eux, un jeune conscrit d’à peine vingt ans fuyant chaos et bombes et découvrant, par hasard, l’uniforme d’un capitaine de la Wehrmacht dont il va utiliser la défroque et usurper l’identité. Pris désormais pour un gradé, le voilà entraînant mort et barbarie dans son sillage au gré des rencontres, au fil des évènements et sous couvert d’une soi-disant "mission secrète" mandatée par Hitler en personne.
The captain pourra vaguement rappeler Requiem pour un massacre avec cette figure centrale de jeune "candide" plongé soudain dans les horreurs de la guerre pour mieux en révéler la folie pure, la sauvagerie primordiale (les deux films partagent quelques scènes marquantes, même si The captain reste nettement plus "accessible" que Requiem pour un massacre). Si Fliora, dans le chef-d’œuvre infernal d’Elem Klimov, subissait jusqu’à l’aliénation les évènements autour de lui, Willi, en endossant le rôle de capitaine, décide au contraire de s’y couler en les retournant à son avantage, quitte à aller loin dans le mensonge et l’illusion, et plus loin encore dans les ténèbres (Willi, lors de son périple, tua plus d’une centaine de personnes).
Parfois maladroit et appuyé, parfois troublant et même tragiquement burlesque, The captain détaille aussi bien les rouages d’une imposture individuelle que ceux d’une débâcle morale, autoritaire et universelle ("Tout est possible. Nous sommes dans un monde où rien ne fonctionne normalement. Les soldats sont anesthésiés, les supérieurs sont à moitié dingues…" - Tahar Ben Jelloun, La punition). En tyran qui s’improvise et se trouve, Max Hubacher impressionne beaucoup avec une interprétation habitée, fiévreuse, nourrie d’un regard tour à tour dur et innocent, ébahi (par sa propre audace) et perdu (face aux atrocités qu’il engendre), et ce jusqu’au dernier plan, saisissant dans sa beauté allégorique où Willi disparaît dans le noir sur un parterre d’ossements.