Plaire, c’est d’abord se croiser du regard dans un cinéma, à Rennes, se vouvoyer pour commencer, se faire la cour avec les yeux malicieux, les yeux qui brillent de la promesse d’une rencontre, belle et déflagrante. Jacques et Arthur se tombent dessus comme ça, lui l’écrivain parisien malade et lui l’étudiant rennais qui ne sait pas encore ce qu’il sera, glandeur éventuellement, cinéaste sans doute. Sur les traces de Collard et de Téchiné, à l’ombre de Rimbaud, de Koltès et de Guibert (d’où cette imperceptible impression d’avoir déjà éprouvé ces situations, entendu ces mots, vu ce film peut-être), Christophe Honoré raconte une histoire d’amour, d’hommes et de Sida (et de livres aussi, et de cigarettes, beaucoup de cigarettes) au début des années 90, à cette époque où ça écoutait Cache cache party et Cars and girls, où ça draguait les garçons sur minitel ou au téléphone, dans les chantiers ou dans les parcs, pleins de ces odeurs de sueurs nocturnes, de béton râpeux et d’herbe foulée, rudoyée sous le cuir des chaussures.
Aimer, c’est vouloir l’autre à tout prix, et même à des âges éloignés, et même avec la souffrance, des intraveineuses aux mains et un corps qui s’amoindrit. Arthur aime Jacques, et Jacques aime Arthur. Les deux s’attirent, s’esquivent, se déclarent en cartes postales épistolaires, avec du mélodrame dans l’air et des envies de caresses, de peaux demi-sel. Honoré filme autant l’amour qui s’invite qu’il en exhibe les manquements, empêché par la distance et la maladie, les désirs à côté et les vieux amants qui traînent. Et puis il a avec lui deux acteurs magnifiques, Pierre Deladonchamps (touchant) et Vincent Lacoste (surprenant), qui animent de leur présence et d’une sensualité pourtant incertaine (chez Lacoste surtout) chaque vibration de ce film aux allures de fragments autobiographiques.
Courir vite, c’est pouvoir échapper à la mort, du moins la retarder. Parce que Jacques n’a plus le temps, plus assez en tout cas pour donner à Arthur ce qu’il voudrait et ce qu’il est en entier, sa carcasse, ses rires et ses larmes, son sperme et ses sucs. Mais lui donner le peu qu’il peut, encore, lui faire aimer la vie et la littérature, l’art de séduire et de s’émouvoir, comme une éducation sentimentale qui le préparerait au monde qui s’offre à lui, à ces années futures, à ces autres décennies auxquelles Jacques n’appartiendra pas. Et Jacques n’est plus qu’une absence à la fin, une absence d’appel dans cette cabine téléphonique, à Rennes, l’absence d’un être qui voudrait, qui va, qui veut disparaître, et qui ne sera plus rien, "un paquet de chair nu entortillé sur une table froide, à qui l’on a mis une canule au fond du derrière et dont on bourre le ventre d’un liquide qui puera à la sortie" (Hervé Guibert, Le mausolée des amants).
Christophe Honoré sur SEUIL CRITIQUE(S) : Dans Paris, Métamorphoses, Chambre 212, Le lycéen.