Un jour, par hasard, Jongsu retrouve une ancienne amie d’enfance, Haemi. Par hasard ils fument une cigarette, ils vont boire un verre, Haemi semble flirter avec Jongsu, ils couchent ensemble, Haemi part en voyage au Kenya puis rentre avec Ben qu’elle a croisé là-bas, huppé et beau, troublant et intrigant. Un étrange trio se compose. On redistribue les cartes mais chacun à sa place, le pauvre avec son vieux pick-up et ses rêves de roman à la Faulkner, le riche avec sa Porsche et sa lassitude chic, la jolie fille avec ses envies d’être actrice. Et au milieu des sentiments qui se consument, des serres qui brûlent, des femmes qui s’en vont, reviennent puis disparaissent…
Quelque chose se trame, doucement. Le rythme du film prend d’ailleurs le contrepied de son titre : tout y est étouffé, à combustion lente. Le scénario de Burning, adapté d’une nouvelle d’Haruki Murakami, se déploie avec minutie et patience, multipliant les pistes, superposant les thèmes, créant autour de lui une sorte d’hypnose et sur nous un état second, apportant beaucoup de questions avec l’air d’y répondre sans toutefois s’y résoudre. Burning pourrait être cette histoire d’un aspirant écrivain face au syndrome de la page blanche et au vide de sa vie (sans argent, un père qui va aller en prison et une mère partie trop tôt).
Burning pourrait être ce thriller psychologique et amoureux autour d’un tueur insaisissable. Burning pourrait être aussi ce cauchemar où l’on court sans cesse et dont on se réveille épuisé, sur un vieux canapé. Burning pourrait être toutes ces choses à la fois, protéiforme et changeant, une illusion captée dans un éclat de soleil, l’espace d’un court instant. Tout le film repose sur la mise en scène de la représentation (l’écriture, le mime, une danse dans un restaurant, un souvenir d’enfance que l’on évoque, une femme que l’on maquille…), sur ses artifices, ses gestes l’air de rien (alors que non), ses certitudes et ses faux-semblants.
Lee Chang-Dong manie avec brio l’art du mystère et de la réfraction, ne veut pas asséner, ne pas trop dire ou nous prendre par la main. Les directions sont diverses, les variations astucieuses, les beautés évidentes. Beauté par exemple de cette scène pivot quand Haemi danse à moitié nue face au soleil qui se couche sur les accords déchirants de Mile Davis (ceux d’Ascenseur pour l’échafaud). C’est à partir de là (et d’une étonnante confession faite par Ben) que le film va se distordre, passant alors de la chronique sociale et sentimentale au puzzle policier, presque métaphysique tant le film semble ne se construire que des interrogations et des divagations de Jongsu.
À travers cette enquête (celle de Jongsu) qui n’en est pas vraiment une (encore un leurre), des béances font jour, s’affirment, révélant les signes d’une violence sourde (les couteaux découverts chez le père de Jongsu) qui ne manquera pas d’éclater lors d’un final saisissant, et cette violence est-ce celle d’une révolte ou d’une vendetta, par jalousie ? Est-ce à l’aube ou au crépuscule ? Est-ce même réel ? Est-ce un double imaginaire et maléfique que viendrait symboliser Ben, est-ce Jongsu (Yoo Ah-In, épatant) qui accepte (ou renie ?) sa condition et le chaos familial pour enfin, simplement, écrire ? Surtout, qui est cet enfant devant cette serre en feu dont, jamais, on ne saura s’il s’agissait de Ben ou de Jongsu ?