Plus de sept ans ont passé. Sur l’île d’Utøya, en ce vendredi 22 juillet 2011, un terroriste néo-nazi abat 69 personnes (pour la plupart des adolescents) lors du camp d’été organisé par la Ligue des jeunes travaillistes. Début octobre, un film retraçait déjà, à sa façon, les tragiques évènements ; celui, lourdaud, de Paul Greengrass (et dans lequel Anders Danielsen Lie a été se compromettre) qui s’attelait à raconter la croisade meurtrière de Breivik de façon exhaustive, des préparations de l’attentat dans le quartier des ministères à Oslo jusqu’à son procès en passant par la reconstruction des victimes et, évidemment, la tuerie d’Utøya.
Erik Poppe, lui, choisit de se concentrer uniquement sur la tuerie. Tuerie dont on ne verra presque rien, reléguée au seul point de vue de Kaja (extraordinaire Andrea Berntzen) et de la caméra qui la suit comme une ombre, comme un personnage à part entière pris lui aussi au piège de cette île transformée en enfer. Au-delà de l’œuvre de mémoire, Poppe donne à ressentir très concrètement (son film a quelque chose de physique, quasi d’organique, fait de souffles, de sueur et de boue) les réflexes, sensations et sentiments face à une telle épreuve, partagés entre peur, panique, instinct de survie, incrédulité (Breivik portait une tenue de policier) et interrogations (est-ce un exercice, combien y’a-t-il de tireurs, faut-il rester cacher ou tenter de s’enfuir, pourquoi les secours n’arrivent-ils pas ?).
Inspiré de plusieurs témoignages de survivants, tourné en temps réel et en un seul plan-séquence (Poppe estimant que "la manière juste de raconter cette histoire, c’était de ne pas faire de montage", et dont l’aspect "technique" disparaît vite devant l’horreur de la situation), le film nous place au cœur du drame en ne cédant ni à la facilité ni au voyeurisme, excepté quelques scènes parfois un rien démonstratives (la longue agonie d’une jeune fille blessée, Kaja qui se met à chanter True colors…). Tout demeurera hors-champ, en retrait, et Breivik ne sera qu’un point invisible, une menace insaisissable, une silhouette soudain, entraperçue au loin. Mais le plus glaçant finalement reste l’incessante litanie des coups de feu qui résonnent avec fracas et méthode, et comme autant de promesses de mort.
Magnifiques portraits et témoignages de survivants d’Utøya par Andrea Gjestvang, à découvrir ici et ici.