La fin de Split annonçait donc la couleur : le retour de David Dunn, héros faillible mais "incassable", contre Kevin Wendell Crumb alias "la bête", alias "la horde", alias Patricia, alias etc. Et celui d’Elijah Price aussi, l’homme de verre au QI prodigieux, attendant patiemment son heure au fin fond d’un asile pour orchestrer son grand retour de méchant à tête chercheuse. Quand ces trois-là se retrouvent enfermés dans ce même asile et qu’une psychiatre assidue cherche à leur faire admettre qu’ils ne sont pas des super-héros, non, mais seulement des hommes souffrant d’une certaine forme de mégalomanie, le vrai combat (et le vrai sujet du film) peut commencer.
Celui de se battre pour ce que l’on est, ce que l’on est devenu et ce qu’on laissera, si possible, à un monde qui ne semble plus croire en grand-chose. Pour boucler sa trilogie, commencée il y a dix-huit ans, autour de la figure du super-héros (et du super-vilain) et la fascination (la contamination) des comics dans le réel, M. Night Shyamalan a au moins le mérite de ne pas choisir la facilité : celle de l’action à tout-va et d’y préférer une sorte de "duel mental" entre quatre entités sans cesse mouvantes, quatre visages d’une seule et même nature humaine, voire surhumaine (le mal, la violence, la bravoure et la raison). Hyper tentant, évidemment, du moins au début.
Parce que ce duel se réduit vite à des bavardages psychologiques de comptoir censés dire les certitudes et les doutes d’être dans le "hors-norme", dans l’extra ordinaire, et bien pauvres au vu des ambitions de Shyamalan de vouloir questionner l’identité intime du super-héros (ramenée ici à de vagues traumatismes d’enfance), sa mythologie et son évolution (imaginaire et sociale). Ça théorise trop, et surtout trop simplement. Alors qu’Incassable brille de par sa sobriété et ses silences, Glass au contraire déploie tout un arsenal verbeux et fouillis qui le dessert plus d’une fois (sans parler de facilités et autres absurdités scénaristiques) malgré une réalisation solide, quelques scènes réussies et une interprétation ad hoc (Sarah Paulson et James McAvoy en particulier).
Et puis à force de révélations et de twists noyant l’ensemble et le propos sous une sorte de dramatisation artificielle, et presque invraisemblable, et presque pour faire d’abord plaisir aux fans (Shyamalan, un twist sinon rien), Glass finit par ne plus convaincre. On prendra par exemple le cas de ce deus ex machina surgit de nulle part (le révéler d’entrée aurait sans doute permis de jouer non pas sur un effet de surprise manigancé à tout prix, mais plutôt sur un meilleur, en tout cas plus cohérent, développement narratif) et faisant d’Elijah, in fine, le bon samaritain qu’on n’attendait pas, responsable pourtant de centaines de morts (mais c’est pour la bonne cause, alors tout va bien).
Et Incassable avait déjà statué, magnifiquement, sur ses "ambitions" et sur son sort, Shyamalan décidant d’y revenir dans Glass de façon peu probante, limite sabotage (voir la scène larmoyante entre Elijah et sa mère où celui-ci geint sur son besoin de reconnaissance). Un bon samaritain révélant à la Terre entière l’éventuel super-héros qui sommeille en chacun de nous et prompt à recomposer, à réinventer l’ordre établi (et qu’il faudrait rétablir, de fait, par la parole ou par les armes). Entre éclats et agacements, Shyamalan nous laisse donc là, à la fin sur ce parking dévasté et dans ce hall de gare, avec le sentiment incertain d’avoir exploité un filon (le succès d’Incassable puis le "retour en grâce" de Split) davantage par opportunisme que par inclination artistique.
M. Night Shyamalan sur SEUIL CRITIQUE(S) : Phénomènes, Split, Trap.