Dick Cheney, sa vie, son œuvre. Ses infarctus aussi, sa femme, très influente à ses côtés, et ce visage sans cesse impassible, ébranlé à peine par l’homosexualité d’une de ses filles. Dans l’ombre de George W. Bush pendant huit ans dont il profitera clairement de l’incompétence, Cheney tirera les principales ficelles de la politique américaine et même mondiale (grâce surtout aux attentats du 11 septembre). Le vrai mastermind, c’était lui. Manipulateur et affairiste, opportuniste et destructeur, Cheney se servira de la Maison Blanche comme d’un formidable accélérateur à son autorité et sa rapacité.
Entre la charge un rien démonstrative d’un Michael Moore et l’insolence de Veep, Vice n’y va pas par quatre chemins. Le trait est épais, aussi épais d’ailleurs que ceux de Christian Bale en Cheney, parfait et oscarisable à mort. Le film est évidemment à charge, et sans réelles réflexions sur les dérives d’un pouvoir politique face à ses propres ambitions, montrant par exemple un jeune Barack Obama en sauveur providentiel des valeurs et de la démocratie américaines, et faisant de Cheney une figure du Mal débonnaire et néfaste à la marche du monde, voire l’une des principales, voire la seule, voire la pire. De celle qui a exacerbé le djihadisme et créé l’État islamique, favorisé les dérèglements climatiques, engendré les crises financières et les désastres migratoires. Satan à côté, c’est Gandhi.
Certes, Cheney est une raclure qui ne s’excusera ni de ses actes ("J’ai fait ce que vous avez demandé") ni des scandales qui finirent par le rattraper (l’affaire Palme-Wilson et celle des contrats en Irak de la société Halliburton), mais Adam McKay force parfois la caricature, comme aveuglé par son envie de dézinguer la bête à tout prix, au détriment du fond. Vice fait dans le pamphlet déconnant, et pas autre chose ; voir le carton d’ouverture qui annonce, en gros (et comme une sorte d’aveu de faiblesse, ou d’un je-m’en-foutisme assumé), que l’histoire est vraie, ou aussi vraie que possible étant donné l’aura de secret autour de Cheney, mais que McKay et son équipe on fait du "putain de mieux" qu’ils pouvaient pour retracer sa carrière et en attester des nombreux travers.
La première partie de son film reste assez classique dans la description du parcours de Cheney et son irrésistible ascension dans les arcanes de Washington, et ce malgré quelques effets stylistiques parfois réussis, parfois maladroits (symbolique de la pêche, faux générique de fin, zapping d’images d’actualité, digressions shakespeariennes…). Vice est en revanche plus passionnant dans sa deuxième partie quand il entend décortiquer les rouages des guerres (des invasions) en Afghanistan et en Irak, élaborées sur des mensonges, motivées par des intérêts financiers personnels (que Moore dénonçaient déjà dans Fahrenheit 9/11) et permettant maintes législations liberticides (détentions illégales, autorisation de la torture, création du Patriot Act et de Guantánamo).
Les Américains (et jusqu’à une grande partie des démocrates, Hilary Clinton en tête), manipulés par certains médias et des études d’opinion biaisées, organisées comme de vastes opérations marketing, tombèrent dans le panneau de l’ultra-sécuritaire, de la menace terroriste tous azimuts et d’un patriotisme revivifiant. Les guerres furent juteuses. Dans sa critique d’une politique immorale pourtant condamnée et révélée au grand jour, McKay oublie de dire une chose et d’en souligner toute l’ironie (un comble pour un film qui se veut aussi mordant) : Bush fut réélu pour un deuxième mandat, et un autre abruti fut élu quelques années plus tard.