L’Amérique latine et ses coups d’État militaires, c’est une longue histoire de violences, ça fait partie des gênes, et pratiquement tous ses pays, sur un siècle, y ont eu droit, de l’Argentine au Chili en passant par le Paraguay et l’Uruguay. L’Uruguay justement : en 1973, le gouvernement du président Juan María Bordaberry passe sous l’autorité de l’armée. Tout opposant politique est arrêté ou assassiné, et les membres du mouvement d’extrême gauche Tupamaros n’échapperont pas à la purge. Trois de ses principaux dirigeants, Eleuterio Fernández Huidobro, Mauricio Rosencof et José Mujica (qui deviendra président de la République de 2010 à 2015), furent ainsi emprisonnés pendant douze ans dans des conditions épouvantables.
L’objectif des militaires n’était d’ailleurs pas de les tuer, mais de les briser psychologiquement, de les rendre fous en leur ôtant la moindre parcelle d’humanité et de liberté (sinon celle, encore, de penser). Ils n’étaient pas prisonniers, ils étaient "otages", menacés d’exécution si les Tupamaros tentaient une quelconque action contre la dictature. Le film d’Alvaro Brechner raconte ces douze années de calvaire et l’extraordinaire résilience de ces trois hommes (et de tant d’autres, et de tant de femmes aussi) pour surmonter si longtemps tortures et privations (de sommeil, de nourriture, de mouvements, de parole…), et surtout la folie qui n’était jamais loin de les emporter, définitivement.
Pour ça, il aura fallu se raccrocher à presque rien, au moindre éclat d’un bonheur soudain, possible et dérisoire : un bout de ciel, un match de foot entendu à la radio, la lueur d’un feu d’artifice, des échanges en cognant à travers les murs… Le récit et la mise en scène se limitent aux nombreuses cellules (petites, grandes, minuscules, avec ou sans fenêtre…) où l’on transfère ces hommes au gré des mois et des années, imposant un rythme construit sur une inlassable répétition (esthétique et narrative) qui figure, à sa façon, le quotidien contraint et sans repères des prisonniers. Dommage que d’inévitables flashbacks (ceux d’un temps évidemment meilleur) et qu’un dispensable décompte des jours viennent sans cesse le parasiter, altérant l’impact émotionnel, et presque physique, de cette "longue nuit de douze années" à jamais inscrite dans l’âme et dans la chair de ces hommes, frères et compagnons d’armes.