On sait depuis un moment que Brian De Palma n’arrive plus, ou très difficilement, à produire ses films. Qu’on lui tourne le dos (aux États-Unis surtout, où il n’évoque plus grand-chose pour une majorité de spectateurs abreuvée de super-héros et autres trucs mainstream). Qu’on le considère comme un dinosaure qui a fait son temps et dont les derniers films, depuis Mission to Mars en 2000, ne sont que mépris critiques et échec publics (Passion ayant toutefois, a minima, relevé le niveau, comme une sorte de spasme créatif). Il n’y a bien qu’en Europe, et principalement en France, que De Palma reste plus ou moins adulé et considéré comme un grand maître du septième art, un auteur qui vaut le coup quoiqu’il puisse (encore) faire.
Domino, dont le tournage difficile a connu d’incessants problèmes de financement ("Le film était très mal financé. J’ai passé beaucoup de temps dans des chambres d’hôtel à attendre que l’argent pour qu’on puisse continuer à tourner arrive. J’ai passé 100 jours en Europe et on n’a pu tourner que 30 jours", a raconté le réalisateur) et une postproduction indigne et bâclée (final cut refusé à De Palma, sortie direct-to-video), confirme pourtant que la clémence a parfois ses limites. On a beau être indulgent, indulgent parce que c’est De Palma, parce que c’est Phantom of the paradise et Carrie, Pulsions et Snake eyes, parce qu’il y a José Luis Alcaine à la photographie et Pino Donaggio, le vieux complice, à la baguette, parce qu’il y a Nikolaj Coster-Waldau, Carice van Houten et Guy Pearce devant la caméra, Domino n’a absolument rien à nous offrir à quelque niveau que ce soit. Et il n’y a pas d’autres mots qui le caractériseraient mieux que navet, catastrophe et infamie.
L’histoire imaginée par Petter Skavlan (un imbroglio fumeux autour d’attentats perpétrés par des fous de Daech) est d’une indigence rare, accumulant situations ineptes, scènes ridicules (ah, cette bagarre poilante dans une rue de Bruxelles…), facilités scénaristiques (ah, ces terroristes croisés comme par hasard sur l’autoroute…) et dialogues qui sonnent creux. Les acteurs ne sont pas en reste, visiblement aussi peu motivés par la crédibilité du projet que De Palma l’est par sa laborieuse mise en forme. Il tente tant bien que mal d’apposer sa patte, d’utiliser ses fameux tics visuels (split screen, zooms, plongées, images démultipliées, clins d’œil hitchcockiens…) sur quelques séquences, mais rien ne fonctionne, le cœur n’y est pas et on retiendra, pour l’honneur, ce final dans la plus pure tradition De palmienne à base de ralenti, de drone, de bombe, de mouvements de foule et de Boléro de Ravel revisité. Sans budget, sans soutien et sans inspiration, De Palma n’est plus que l’ombre de lui-même. Et c’est terrible à voir.
Brian De Palma sur SEUIL CRITIQUE(S) : Snake eyes, Passion.