C’est en 1897 que H. G. Wells écrit L’homme invisible, dont le cinéma s’emparera assez vite (douze ans plus tard) avec un court-métrage français, Le voleur invisible, avant que de multiples adaptations ne voient régulièrement le jour, dont les plus notables resteront celles de James Whale (incontournable), John Carpenter (fun) et Paul Verhoeven (hargneuse), sans parler des différentes versions déclinées en séries télé. Leigh Whannell remet au goût du jour le célèbre scientifique Griffin rendu cinglé et dangereux par son expérience (qui le marginalise aux yeux de tous), en faisant pour l’occasion un pervers narcissique s’inscrivant dans la mouvance #MeToo et la dénonciation sans précédent des violences faites aux femmes à travers le monde.
Cette actualisation du mythe se révèle aussi pertinente que passionnante, Whannell se concentrant non plus sur Griffin, mais sur son épouse Cecilia qu’il tyrannise et pousse à la folie. Les menaces, les intimidations, les coups, l’isolement social, l’incrédulité des autres, tout cela se retrouve décuplé par l’invisibilité du corps ennemi, de ce corps censé être mort dont l’invention technologique permet un paroxysme dans le harcèlement et son pouvoir de nuisance. Et la folie d’un homme chez Wells de se transformer en combat féministe on ne peut plus actuel chez Whannell. Ce n’est donc plus l’homme invisible qui intéresse ici, mais bien la femme de l’homme invisible, et avec elle ses doutes, ses peurs et sa pugnacité face à un mari violent, control freak particulièrement revanchard.
Elisabeth Moss, de presque tous les plans, brille une fois plus, après la secrétaire de Mad men et la June de The handmaid’s tale, dans un rôle de femme cherchant à s’extirper d’un modèle de domination masculine. Dommage que, dans sa dernière demi-heure, Invisible man cède un peu trop facilement aux sirènes de la surenchère et du rebondissement à la chaîne, alors qu’il savait jusque-là être intelligemment mesuré dans son propos, jouer sur la simple perception du vide (filmer le coin d’une pièce, une chaise, un couloir, une porte ouverte, et provoquer l’angoisse) et procurer une terreur avant tout psychologique (voir l’introduction du film, parfaite de tension maîtrisée). Malgré cela, et quelques facilités scénaristiques traînant ici et là, Invisible man réussit son pari de renouvellement du classique de Wells en lui offrant une imparable modernité.