[Cet instant de lecture vous est offert par les cafés Lavazza et les montres Chopard] On le sait : écrire une critique sur un film de Michael Bay relève souvent de l’exercice schizophrénique trouble. Et parce que lui accorder un certain crédit, lui reconnaître une emphase régressive tout en louant à côté Tarkovski, Lynch ou Greenaway, est une gymnastique mentale dont peu se révèlent experts (et dont peu savent se remettre). Et parce que c’est aussi ça, être cinéphile. C’est oser le grand écart entre l’art et la truie. Mais avec 6 underground, l’exercice devient autrement périlleux. Tu peux y laisser ta peau avec un machin pareil, tu peux finir en miettes (France Culture semble encore sous le choc, c'est dire).
Tous les curseurs sont ici passés au rouge, au cramoisi même, au calciné. Bay a clairement atteint le summum de tout ce qui fait l’essence de son cinéma, et quelqu’un qui n’aurait jamais vu un seul de ses films et tombant par hasard sur 6 underground se demanderait alors, entre deux crises de convulsions, pourquoi tant de mauvais goût et de musiques ringardes ? Pourquoi tant de placements produits et de bordel dans le montage, tant de dialogues ineptes et d’humour gras, de soif de destruction, de fracas et d’explosions ? Oui, pourquoi ? Parce que "pourquoi pas", pour reprendre ce cher Peter dans Funny games.
Et parce que la méthode Bay, c’est ça. C’est l’apogée de l’abrutissement, du foutage de gueule et des limites, du spectacle hypertrophié et du renoncement scénaristique sans que l’on sache, à aucun moment, si l’on a faire à du vingtième degré ou du stricto sensu, à du subversif qui tache ou du méta qui s’ignore. Parfois d’ailleurs c’est plutôt réussi (Rock, Transformers, No pain no gain), et puis parfois c’est vraiment mauvais (Armageddon, Bad boys 2, Transformers 5). 6 underground, sorte de compilation exhaustive du style Bay, se situe précisément entre les deux, entre la farce bourrine décomplexée et le gros navet fluo qui finit par s’autodétruire de trop d’outrances.
Le scénario empile évidemment les clichés et les écarts douteux, mettant en scène les exploits d’une équipe de mercenaires réunis par un milliardaire visiblement très soucieux de la paix dans le monde, façon Mission : Impossible qui aime à en mettre partout. Exploits où la démocratie et la sauvegarde de la liberté passeraient par une justice fantôme (et expéditive), là où les gouvernements demeurent incapables ou hésitants, voire complices. Un sous-texte politique intéressant, mais dont les interrogations, les ambiguïtés et les résonances actuelles sont sans cesse reléguées au fin fond de l’abîme ou sous trois tonnes de tôle froissée.
C’est qu’on n’est pas là pour réfléchir. On est là pour le pur plaisir dégénératif, et ce dès le début du film avec une course-poursuite dans les rues et les palais de Florence envoyant balader tous les Fast and furious de la Terre. Ryan Reynolds qui, depuis Deadpool, semble avoir trouvé sa voie dans la déconne totale (tiens tiens, 6 underground a été écrit par les scénaristes de Deadpool…), a compris le truc et s’amuse comme un fou, alternant mines graves, regards de velours et rictus déjantés au rythme d’un plan toutes les deux secondes. Même Mélanie Laurent prend son pied à jouer les tueuses badass en n’hésitant pas, pour les beaux yeux de Michael, à faire la pin-up en lingerie coquine. C’est comme ça chez Bay : on y vient, acteurs comme spectateurs, pour se frotter, se confronter à sa propre envie d’excès et d’abnégation.
Michael Bay sur SEUIL CRITIQUE(S) : Transformers, Transformers 2, Transformers 3, No pain no gain, Transformers 4, Transformers 5.