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Sympathie pour le diable

Plus de 1 460 jours et 1 460 nuits, plus de 300 obus tirés chaque jour, plus de 12 000 victimes, plus de 50 000 blessés, plus de 70 journalistes tués : voici quelques chiffres concernant le siège de Sarajevo, le plus long de l’histoire moderne (et le plus meurtrier depuis celui de Leningrad). Pas d’eau ni d’électricité ni de gaz non plus, peu de nourriture, et des snipers partout qui tuent sans faire de détail. Par exemple un enfant de trois ans qui joue dans la cuisine et qu’on retrouve la cervelle sur le carrelage. Au milieu de ce cauchemar, le reporter de guerre Paul Marchand qui s’incruste, qui cavale, qui fonce entre les balles sur la sniper alley, trompe-la-mort et fumeur de cigares tout le temps.

Entre impuissance totale et devoir éthique, Marchand voulait "montrer le vrai visage du monde". À Sarajevo au début des années 90, pendant presque quatre ans, le vrai visage du monde était celui de combats incessants et meurtriers, de "scènes d’horreur comme on en a l’habitude", d’une vie amputée de tout. Marchand montrera tout ça. Il le dira à la radio, il l’écrira dans les deux tomes de Sympathie pour le diable et dans Ceux qui vont mourir. Guillaume de Fontenay, lui, montre Marchand. Marchand qui s’interroge sur l’engagement et les limites (et les désillusions) de sa profession. Marchand toujours prêt à aller sur le terrain, là où personne d’autre ne veut aller, à prendre des risques et surtout à prendre position, l’obligeant, face au chaos, à sortir de sa neutralité journalistique.

Sans en faire une figure héroïque ni une figure de raison, avec sa colère et ses défauts, de Fontenay le filme comme il était, pris dans l’adrénaline d’un conflit absurde que la communauté internationale fut bien incapable d’endiguer. Privilégiant un style brut et quasi documentaire (pas d’affèteries, pas de musique, pas d’intrigue particulière), il colle aux basques de Marchand dans une ambiance de fin du monde avec ces paysages gris et ces bâtiments dévastés, ces rues fantômes et ces ombres voûtées évoquant les films de Theo Angelopoulos (qui, lui aussi, filmera le siège de Sarajevo dans Le regard d’Ulysse). Il convient enfin de saluer la performance de Niels Schneider, visiblement habité par l’énergie et la personnalité de Marchand qui, en 2009, se foutra en l’air parce qu’il "était fini, qu’il avait marché sur des terres contaminées et qu’il n’était plus apte à vivre".

Sympathie pour le diable
Tag(s) : #Films

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