Tout commence comme dans un magazine chic sur papier glacé, ouvert à la rubrique lifestyle qui détaillerait par le menu la vie de famille d’un couple aisé à New York, du bel appartement en plein Manhattan aux deux jolies petites filles épanouies, de la maman jeune romancière au papa start-up nation. Le cadre paraît idyllique, mais sourd de celui-ci quelque chose de l’ordre du non-dit, quelque chose de figé. D’abord parce que Laura, qui doit s’occuper seule du foyer, est en panne d’inspiration. Syndrome de la feuille blanche et charge mentale en sus : Laura a le sentiment de ne plus avancer. Dean, tout attentionné qu’il soit, est accaparé par son travail, mari aimant mais trop souvent absent.
Alors quand un soupçon d’adultère s’invite au tableau, Laura, flanqué d’un papa poule, Felix, coureur de jupons et convaincu de l’infidélité de Dean, décide d’en savoir plus, histoire de comprendre où en est son couple (et elle-même). Jeu de filature tendrement drôle dans un New York cocooning et jazzy (très Woody Allen finalement), et même au Mexique lors d’une escapade un rien rocambolesque, On the rocks permet à Sofia Coppola de renouer avec le film de duo (après Lost in translation et Somewhere) avec, toujours, la figure paternelle en évidente figure de proue (et celle de papa Coppola dans l’ombre). S’il s’agissait avant de s’en approcher (Lost in translation) ou de s’en rapprocher (Somewhere), il s’agit ici de s’en défaire, symboliquement (par un échange de montres par exemple).
Et parce que derrière la complicité filiale, deux conceptions du monde (ou plutôt la façon d’y vivre) s’opposent, l’un où l’on roule en voiture de sport décapotable, déguste du caviar si ça chante et sirote des cocktails à la table où Bogart demanda à Bacall de l’épouser, l’autre où la réalité reste étanche à toute excentricité, se déploie rarement plus loin que l’école de la grande et le bureau. Ce sont surtout deux visions des relations hommes/femmes que Coppola regarde se heurter, Laura comprenant qu’elle doit se détacher de son père et du standard familial (et relationnel) quasi anachronique qu’il incarne : celui de l’homme sans attaches, guidé d’abord par ses pulsions et qui, avec une femme (une proie), "ne passe pas par les émotions […] mais directement des yeux au cul".
Felix aura beau insinuer que Dean est comme lui (et, parce que c’est leur nature, tous les hommes), Laura cherchera, lors de leur "enquête", à aller contre, à saper les certitudes du saint pater. En dépit des nombreux thèmes abordés, assez consistants (le couple, le féminisme, l’engagement, la famille…), Coppola ne vise ni la thèse ni les grands discours. On the rocks préfère la légèreté, le pétillant, voire l’anecdotique. On pourra le lui reprocher (ce qui n’a pas manqué, le film étant globalement mal reçu) comme on pourra s’en satisfaire, surtout quand Rashida Jones et Bill Murray nous régalent d’un numéro père/fille émouvant et fantaisiste.
Sofia Coppola sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les proies, Priscilla.