T’avais dans l’idée, quand t’eus fini de regarder Cherry, et proche alors d’une espèce d’état catatonique, d’envoyer un mail aux frères Russo pour leur poser cette question très simple, et en même temps cruciale dans la légitimation de notre place dans l’univers : pourquoi ce plan à l’intérieur du rectum de Tom Holland ? C’était quoi l’intention, en fait ? Qu’est-ce qu’ils avaient en tête à ce moment-là pour qu’ils en viennent à se dire "Tiens, on va filmer comme si on était dans le trou du cul de notre acteur" ? Parce que concrètement, ça conforte quelle réflexion, ça apporte quoi dans la construction du personnage et dans la compréhension de son histoire ?
Mais tu l’as pas envoyé ton mail, non, pas la force, et tu t’es dit que la portée métaphysique de ton interrogation n’irait pas plus loin que celle d’un pet sous un drap. Tant pis. D’ailleurs le film est à l’avenant de ce plan foireux imaginé sans doute sous poppers, et ça tu voulais aussi le leur dire dans ton mail. Les Russo accumulent frénétiquement les motifs stylistiques sans homogénéité et surtout sans raison, sinon celle d’une épate mal placée, d’une preuve qu’ils savent filmer autre chose que des mecs musclés en collants qui s’envoient sur la gueule dans les bouses de Marvel (deux Captain America et deux Avengers).
Le film croule ainsi sous les effets superflus de mise en scène (on dirait un catalogue), à commencer par une voix off inutile et un quatrième mur souvent brisé pour rien, renvoyant presque à l’anecdotique le récit (véridique) de Nico Walker, pourtant d’une grande force dramatique. Ou comment un jeune homme s’engage dans l’armée, se marie avec sa petite amie avant de partir au front, devient infirmier soldat, revient de la guerre avec un stress post-traumatique carabiné, se drogue pour lutter contre, puis braque des banques pour subvenir à sa consommation de dope et à celle de sa femme, devenue junkie par amour. C’est beau, c’est triste, ça touche.
Dans ton mail, tu finissais par leur demander pourquoi ils avaient offert à Holland et à la prometteuse Ciara Bravo (découverte dans la sympathique série Wayne) de si beaux rôles, ceux d’un homme et d’une femme brisés par la vie, s’excluant d’un monde qui paraît ne pas vouloir d’eux, pour finalement saper leur remarquable interprétation par un déluge de tics visuels inappropriés (changements de format de cadre, variations des couleurs, passage d’un plan à un autre sans cut…). Et s’ils comptaient aussi, dans leur prochain film, nous gratifier d’une vue subjective depuis l’urètre et s’ils pouvaient, éventuellement, nous épargner ça.