C’est une histoire qui ressemble à un cliché, et puis au cinéma on en a déjà vu plein des comme ça, ce truc de l’amour, du désir brûlant qui surgit entre deux êtres que tout oppose, que tout sépare, que tout attire, que tout en fait. C’est une histoire qui pourrait faire les beaux jours d’une émission télé racoleuse, du genre "Ex-sympathisante FN, je suis tombée amoureuse d’un migrant". Pourtant c’est bel et bien une histoire vraie ; une carrément. Alors tant pis si elle fait cliché. De toute façon les clichés, c’est fait pour qu’on les tordent. Cette histoire, c’est celle de Béatrice Huret, veuve d’un flic violent et raciste, qui découvre par hasard la réalité de la jungle de Calais, à quelques minutes de chez elle, sa boue, ses violences, la détresse et le dénuement, ses femmes et ses hommes en quête d’un possible, mais difficile, renouveau.
Et qui s’éprend de Mokhtar, enseignant iranien chrétien ayant fui son pays et ses Mollahs qui voulaient le convertir, de force, à l’Islam. En un regard, qu’il a noir et revolver, c’est plié pour tous les deux ("Nos yeux se sont croisés tout de suite. J’ai eu un flash, la véritable impression d’un coup de foudre, une sensation physique, le corps pris", écrira Huret dans son livre Calais mon amour). Ce qui avait commencé comme une sorte de chronique sociale prend alors des allures de mélo ardent, mêlant sentiments cash et corps qui exultent, entre cette femme qui n’attendait plus rien, enfin plus grand-chose, d’une vie tristement banale, et cet homme en quête d’Eldorado (l’Angleterre, au loin, de l’autre côté) qui a tout à reconstruire.
On sait que tout va être compliqué pour eux, déjà rien que pour se parler (merci Google Translate). Mais au-delà de la barrière de la langue, des commérages et des levées de boucliers, il y a la différence de chemin de vie et de culture, de situation et d’avenir, et que l’amour, comme il peut, va tenter d’atténuer. C’est Marina Foïs, passionnée par le récit d’Huret, qui s’en empare en rêvant d’en faire un film. Ses producteurs vont alors proposer à Jérémie Elkaïm de le réaliser (il avait commencé à en écrire le scénario avec Maïwenn qui, avant qu’elle ne se retire du projet, devait le mettre en scène), bien qu’il n’ait à son actif qu’un court métrage datant de 2010. Et puis Elkaïm, on le connaît, et on l’apprécie, principalement pour ses talents d’acteur, entre autres chez Sébastien Lifshitz ou Valérie Donzelli.
Parfois intense, parfois plus léger, parfois maladroit aussi, Ils sont vivants souffre d’une mise en scène impersonnelle lorgnant du côté de Ken Loach et des frères Dardenne (caméra à l’épaule, éclairages crus et réalistes, pas d’esbroufe : quasi la norme en termes de cinéma social), et surtout d’une écriture privilégiant le personnage de Béatrice au détriment de tous les autres, ramenés au rang de faire-valoir, que ce soient la mère ou le fils ou les amis ou même Mokhtar dont on saura (trop) peu, n’existant finalement, quasiment, que comme une espèce de déclencheur à la reprise en main existentielle de Béatrice. Car ici il n’y en a que pour Béatrice, et donc pour Marina. À la base on n’est pas contre : Foïs est une grande actrice et c’est toujours un plaisir de la voir briller, incarner, s’emporter ou s’abandonner (Happy few, L'atelier, Irréprochable…). Mais pas quand le reste, tout autour, existe à peine, ou mal. N’est que figures dans l’ombre.