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The batman

Wayne's world 3


Donc voilà, c’est (encore) reparti pour un tour. C’est (encore) reparti pour au moins une nouvelle trilogie avec, à sa tête, un duo tout nouveau tout beau. Après Tim Burton et Michael Keaton (le pop), après Joel Schumacher et Val Kilmer / George Clooney (le kitsch), après Christopher Nolan et Christian Bale (le sentencieux), après Zack Snyder et Ben Affleck (le lourdingue), voici Matt Reeves et Robert Pattinson (le bof). Ça n’aura pas été sans mal d’ailleurs : la production fut particulièrement chaotique, s’étalant sur plus de six ans avec moult changements et revirements à la clé qu’il serait trop long de résumer ici à moins d’y consacrer une encyclopédie.

Il fallait donc, pour cet énième tour de piste du justicier de Gotham City, renouveler l’allure et la garde-robe. Décision prise : réaliste. Et puis sombre, surtout sombre. Mais pas juste sombre, non, mais sombre de chez sombre. Presque les ténèbres, le fond du gouffre qui te regarde, qui tutoierait Frank Miller et Alan Moore. Le mot magique qui revient partout, c’est "crépusculaire", c’est pour ça qu’on a droit ici à tout l’attirail "crépusculaire" de base : la pluie bien sûr (la pluie, c’est obligatoire), l’obscurité quasi permanente, la décrépitude, le glauque, l’humanité torve se vautrant dans sa fange et son apathie.

Pour un peu, on se croirait revenu plus de vingt ans en arrière quand, après son triomphe, Se7en dictait alors la marche à suivre en termes d’impératifs visuels si vous vouliez mettre une touche de "crépusculaire" à votre film. Le problème, c’est qu’avec le temps et la pléthore de films s’étant gargarisés de ce "crépusculaire" en kit, celui-ci s’est vidé de sa substance, est devenu une norme. Et ce problème se pose donc à la vision de The Batman : oui, c’est beau une ville la nuit, c’est beau une ville qui mouille et qui pue, mais ce n’est franchement pas (plus) original. D’où cette sensation de remise à zéro un peu toc, trop programmatique pour être vraie et qui trime à nous impressionner, du moins à nous satisfaire.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, cette ligne directrice tracée à gros traits est renforcée par la transformation, assez caricaturale, de Bruce Wayne en une sorte de jeune adulte (ou de vieil ado ?) pas bien dans sa peau qu’on dirait échappé d’Euphoria ou de la fan base d’Evanescence ; genre pâleur de vampire et déprime carabinée, traits fatigués, mèches tombantes et filet de voix cafardeuse ; genre plus proche de la figuration d’un emo fragile fixant le vide (ce qui est censé faire sens, tout dire de ses tendances borderline) que d’une véritable réflexion sur les névroses intimes et le côté vigilante mal assumé du personnage.

The batman

Bruce tout (im)puissant


D’autant que la volonté d’introspection développée autour de la personnalité de Wayne n’est clairement pas aidée par une voix off inutile débitant, le plus souvent, de grandes tirades solennelles sur la vengeance et le courage et l’espoir (ça parle de renouveau et ça nous refait du Nolan : c’était bien la peine). D’ailleurs le coup de massue, si ce n’est le coup de grâce, emphatique arrivera en fin de long métrage sur fond de déluge purificateur péniblement symbolique : un plan d’une exceptionnelle putasserie voyant Batman sortir au ralenti de ruines fumantes, un enfant dans les bras, tandis que de valeureux pompiers et militaires s’activent tout autour (point Godwin 11 septembre : check). Dire que ça a gloussé dans la salle serait un euphémisme.

Quant à l’intrigue en elle-même, elle s’éparpille, elle accumule, elle bourre, mélange à la fois énigmes morbides du Riddler (John Doe et Jigsaw ont un fils : comment s’appelle-t-il ?), enquête policière, trafic de drogue, tambouilles politico-véreuses pleines de corruption des élus et de valses des mafieux, vengeance personnelle de Catwoman, questionnements existentiels de Wayne et fantômes de son passé. Ça fait beaucoup. Ça fait trop. Et ça dure trois heures. Et ça ne loupe pas : on finit par se désintéresser totalement de cette mixture narrative qui enchaîne écarts dispensables, explications à la va-vite et niaiseries psychologiques, le tout plombé par les trois tonnes d’accords passe-partout de Michael Giacchino.

À lire comme ça, il n’y aurait donc rien à sauver de l’affaire. C’est faux. The batman a aussi quelques qualités. La première et la plus significative, c’est Paul Dano qui, derrière le masque du terrifiant Riddler, s’approprie le rôle de Monsieur Devinettes de façon magistrale, même si son personnage de trublion revanchard contre une société en pleine déliquescence morale et sociale n’est pas sans rappeler celui du Joker. Les scènes d’action, distillées au compte-gouttes, sont brillamment mises en scène sans chercher la surenchère ni à s’imposer sur le reste, le scénario privilégiant le film d’ambiance et un Batman davantage enquêteur (ce qu’il était à l’origine, sous la plume alors de Bill Finger) que bagarreur.

Enfin, Robert Pattinson, avec l’intensité de jeu qu’il a su déployer et confirmer depuis Twilight (en particulier chez David Cronenberg, Claire Denis et Robert Eggers), parvient à s’emparer d’un rôle casse-gueule dont les atermoiements autodestructeurs (et destructeurs tout court) et l’espèce de contrition qui l’habitent ne sont, en l’état, pas mieux écrits ni mieux approfondis que dans une œuvre surgie du tout-venant hollywoodien (ou de chez Marvel, ce qui revient au même) dont Matt Reeves cherche tellement à se démarquer que son intention, et les ressorts pour y parvenir, en deviennent ultra visibles, factices et, in fine, peu concluants. La suite qui s’annonce, très probablement avec un nouveau futur Joker entraperçu plusieurs secondes dans une cellule de l’asile d’Arkham, promet peu de changements, succès oblige, et donc peu d’envies.
 

Matt Reeves sur SEUIL CRITIQUE(S) : Cloverfield.

The batman
Tag(s) : #Films

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