En fait t’es con, ou plutôt t’es super maso, parce que quand même, tu vas voir Freaks out alors que c’est écrit en gros sur l’affiche (et tout en haut en plus, et en majuscules aussi), comme un signal fait exprès pour toi, comme un avertissement, comme une invitation à faire demi-tour au plus vite : "Entre Dupontel et Del Toro, une époustouflante orgie de cinéma". Soit les deux mamelles d’un certain cinéma qui, disons-le poliment, t’indiffère. D’ailleurs on pourrait rajouter Jeunet à l’affaire, histoire de rester dans le (dans ce) ton. Et pourtant donc, t’y vas, le cœur vaillant et la volonté tenace. T’es peut-être con, mais t’as l’esprit un minimum ouvert. Et puis les critiques sont dithyrambiques. Et puis t’es pas contre un bon moment de spectacle fun et fou et faramineux (du moins vendu comme tel). Et puis tout ça.
Gabriele Mainetti a vu les choses en grand après On l’appelle Jeeg Robot, déjà une histoire d’héros ordinaires, de pouvoirs extraordinaires et de lutte entre le Bien et le Mal. Cette fois nous sommes en 1943 avec un récit pouvant se résumer à des freaks de cirque, dotés chacun chacune de dons surnaturels, bataillant contre de méchants nazis, dont un en particulier capable de pressentir, d’entrevoir le futur (par exemple le suicide d’Hitler et la fin du Troisième Reich, l’i-Phone et le Creep de Radiohead). Soit un mélange des genres savoureux et gonflé. Mais t’as un mot, un seul, pour résumer le film de Mainetti. T’as trouvé le mot idéal, t’as le mot qui va comme un gant : c’est bourratif. Freaks out, c’est du pudding. C’est kloug.
Certes, il y a de l’ambition et de la démesure (magnifique direction artistique), un souffle évident, un amour gros comme ça pour le cinéma populaire à l’ancienne, mais que c’est lourd, et que c’est long (2h20), et que c’est peu singulier. Mainetti ne fait qu’emprunter, que régurgiter les figures et les conventions d’un cinéma hollywoodien actuel sans saveur et sans idée, versant plus souvent dans l’épate visuelle que dans une réelle recherche de mise en scène. Et quand Mainetti y consent, c’est nettement plus inspirant tu trouves, comme par exemple cette très belle scène du "lancer de canon" tel un hommage à Chagall.
La bataille finale, interminable, cacophonique et bordélique, condense à elle seule toutes les scories de son œuvre : à force de trop, ça en devient de la bouillie. Trop de musique, quasi omniprésente sur toute la durée du film. Trop de coups de mou dans un scénario trop balisé qui s’étire inutilement, puis qui s’embourbe. Trop de psychologie sommaire dans la caractérisation des personnages. Trop de grimaces et de cabotinage dans l’interprétation de Franz Rogowski, d’habitude plus rigoureux et plus subtil dans son travail (on n’est pas obligé de jouer un nazi en hurlant et en roulant des yeux constamment). Tu aurais pu ne pas bouder ton plaisir, arrêter d’emmerder le monde, faire fi de Dupontel et Del Toro (et Jeunet), te laisser porter sans chipoter, et parfois ce fut le cas. Mais bon, toi la bouillie, ça finit par te donner des aigreurs.