Un féminicide, encore un, à la suite, qu’on égrène. Direct, rapide, gratuit on dirait. Clara rentre chez elle, il fait nuit, un type masqué apparaît face à elle, l’asperge d’un liquide, l’enflamme, repart. On investigue, on questionne, on pleure, on allume des bougies, on n’y arrive plus. Et autour le monde continue de tourner, dur, sans sentiment. Un monde d’hommes, de dégoût. De femmes qu’on objectivise, qu’on frappe ou qu’on tue. La routine. D’ailleurs quand les partenaires de Clara seront interrogés, le dégoût est bien là, et cette misogynie quotidienne aussi qui saute à la gueule, qui prend le pas sur le drame advenu. Y’en a un qui rigole de tout ça, qui s’en fout à la limite, un autre qui pense seulement au fait que sa copine apprenne qu’il l’ait trompée, un autre encore qui revendique son côté «animal» et brutal, un autre enfin qui, dans une chanson, prônait le meurtre de Clara, comme ça, parce que vénère qu’elle l’ait largué…
Polar sec débarrassé du moindre spectaculaire, La nuit du 12 annonce d’emblée l’échec d’une affaire criminelle (réelle) qui n’aura ni coupable ni trépidations. Ni conclusion ni lauriers. Parce que sous les ressorts, mille fois vus, du film d’enquête policière, l’enjeu se situe ailleurs et s’imposera à tout : démonter, par petites touches, les mécanismes de cette violence des hommes envers les femmes, d’une masculinité qui cloche, et qui cloche sérieusement. Du décorticage du passé de Clara, de ses idylles et ses conquêtes pour tenter d’y débusquer l’assassin (un ami jaloux peut-être ? Un amant revanchard ? Un amoureux éconduit ?), c’est l’évidence d’un machisme ordinaire (on juge, on se permet, on déconsidère…) qui suinte, qui déborde des attitudes et des mots.
Au passage, Dominik Moll tire le portrait d’un service public à bout de souffle (burn out, manque de moyens, lourdeurs administratives, heures supplémentaires à la pelle…) sans jamais parasiter ni sa narration ni la tension d’une enquête que l’on sait pourtant être un cul-de-sac (tout le monde est suspect, mais personne n’est coupable ; ou l’inverse). Il offre enfin à Bastien Bouillon, longtemps second couteau, le rôle magnifique (et que Bouillon excelle à incarner) d’un flic pugnace, taiseux et doux, dévoré au fur et à mesure par la recherche de la vérité et d’un meurtrier insaisissable, comme surgit des ténèbres. Et qui ne réapparaîtra plus sinon dans ses pensées pour, longtemps, venir le hanter.
Dominik Moll sur SEUIL CRITIQUE(S) : Seules les bêtes.