Sylvie est encore tombée amoureuse, elle va même se marier cette fois. Avec Michel, qu’elle a rencontré en prison où elle anime des ateliers théâtre pour les détenus. Mais bon, ça fait le troisième en dix ans, alors Abel, son fils, est du genre blasé, mais panique un peu quand même. Se méfie. Sent que Michel n’est pas net, ou est-ce son imagination ? Et va tout faire, avec sa meilleure amie Clémence, pour protéger sa mère, la préserver d’une éventuelle déception. Sauf que… Voilà que le fils, la meilleure amie et le gendre se retrouvent embarqués dans une drôle d’aventure où il sera question de coup fourré sur un parking d’autoroute et de caviar iranien. Si le nouveau film de Louis Garrel a, au premier abord, des allures évidentes de comédie sentimentale toquée (et de film de braquage encore plus toqué), il va puiser sa source d’inspiration directement dans l’histoire intime de sa mère, la comédienne et réalisatrice Brigitte Sy.
Histoire décrite, en 2010, dans Les mains libres où Sy mettait en scène Ronit Elkabetz et Carlo Brandt pour raconter sa rencontre avec un prisonnier qu’elle épouserait plus tard, et qui s’appelait déjà Michel. Ici c’est Anouk Grinberg et Roschdy Zem qui incarnent les deux tourtereaux dont Garrel et son coscénariste, le romancier Tanguy Viel, se servent comme pivot central pour élaborer une mécanique scénaristique (qui, certes, met un peu de temps à s’enclencher) parvenant à faire cohabiter, sans forcer et sans ratés, rapports amoureux et liens familiaux, envolées drolatiques et hold-up rocambolesque, hommage au métier de comédien et aux mélodies populaires des années 80.
Ce qui n’était pas forcément (du tout) gagné d’avance quand on sait la difficulté à faire rire. À trouver le bon tempo comique ("Were you rushing or were you dragging?") et à le tenir dans la durée. Garrel, dans les traces de Pierre Salvadori et de Patrice Leconte, s’en sort bien de ce côté-là, épaulé par une écriture alerte et la bonne humeur communicative des comédiens (en particulier Noémie Merlant, déchaînée). Mais tout en nous distrayant, Garrel n’oublie pas de deviser sur l’art du jeu et ses vérités/mensonges, s’ingéniant à brouiller les frontières entre principe de réalité et possibilités fictionnelles (la scène du dîner/braquage dans le restaurant, magnifique). C’est quelque part entre les deux qu’Abel trouvera l’antidote à son mal-être (faire le deuil de sa femme), décelant l’amour par cette irruption de l’imaginaire dans les aléas de l’existence. Pour le plaisir, s'époumone Herbert Léonard au début du film. Voilà qui résume plutôt bien L’innocent : un rien banal au final, mais follement plaisant sur le moment.