Ceci n’est pas un biopic. Pas un truc compassé et scolaire. Hors de question. Marie Kreutzer, la réalisatrice, et Vicky Krieps, l’actrice, n’en voulaient pas. Plutôt faire à leur guise. Raconter sans la révérence et la pompe, en envoyant balader. Et puis de la Sissi carte postale, sous crinoline, on en a assez soupé, fut un temps ; ce temps, jadis, où Romy Schneider jouait les jeunes princesses mièvres et énamourées, loin de la vraie personnalité du personnage (Schneider elle-même le regrettait). Et si Corsage s’intéresse donc, une fois encore, à l’impératrice Élisabeth d’Autriche, c’est pour faire résonner, avec acuité et de façon inédite, son histoire, celle d’une femme entravée par les ordres de sa fonction et les contraintes inexhaustibles d’une société patriarcale, à la condition féminine d’aujourd’hui.
Pas question non plus de palais dorés, de flamboyance et de froufrous extravagants. Ici tout n’est que lent parfum de décrépitude, murs qui s’effritent, parures ternes et corps pâles, malades. Ça sent l’agonie, ça sent la fin de règne, un monde ancien qui décline. Élisabeth a désormais quarante ans, d’un tempérament frondeur, aime se rendre auprès des fous et des blessés de guerre, pratique escrime, gymnastique et équitation, voyage, fume, mange peu, astreint son corps à une discipline rigoureuse, à la limite mortifère (celle du corsetage), obsédée qu’elle est par sa peur de prendre du poids et de ne plus plaire, elle que l’on sait d’une grande beauté. Derrière l’apparat, contraint ou feint, que requiert les protocoles de son rang, apparitions officielles, tapis rouges, dîners et galas ennuyeux, Élisabeth est une femme qui souffre, ivre d’une liberté qu’elle ne peut atteindre, qu’on lui refuse, et s’infligeant pourtant ce que le patriarcat ordonne et impose aux femmes dans son autorité, ses jugements et ses attentes en tout genre.
Que lui reste-t-il alors, pour exister ? Doigt d’honneur, poing sur la table, chevelure cisaillée et soustraction au monde, qu’elle s’exile des palais, trompe les mondanités ou consomme de l’héroïne. Kreutzer filme sa Sissi comme prisonnière de son corps et de son époque, ancêtre de Lady Di possiblement, figure de la femme sous diktats semblant, tristement, traverser les âges (d’où plusieurs anachronismes délibérés, parsemés ici et là à l’image, tels les repères d’un temps qui se dérègle, qui annonce, en avance). Relecture biographique effrontée aux relents morbides, Corsage offre une sorte de nouvelle visibilité à Sissi, plus abrupte, plus singulière, et presque une vérité. Et tant pis si elle est amère. Et tant mieux si, pour cela, il faut tordre le cou aux décorums et à l’Histoire.