Haider est amoureux et, soudain, celui-ci paraît se sentir un peu plus libre, lui qui étouffe dans cette maison où, sans réelle intimité, cohabitent épouse, père, frère, belle-sœur et nièces. Où, sans cesse, on lui rappelle sa fonction, le force à l’accepter et à l’honorer. Celle d’un homme qui doit avoir un emploi, être père, déborder de masculinité, se faire obéir de sa femme, ne pas montrer ses sentiments. Mais Haider n’est pas comme ça, d’autant qu’il a rencontré, au cabaret où il a trouvé un emploi de danseur qu’il doit taire, Biba, une danseuse transgenre avec qui il peut exprimer sa vraie nature et, pourquoi pas, ses désirs enfouis malgré les conséquences d’une telle émancipation. Car comment y parvenir vraiment dans un Pakistan régit par les dogmes et les interdits, et où l’affirmation de soi n’est pas permise, sinon comme en cachette, à l’abri des regards, ou la nuit venue, dans l’ombre ?
Saim Sadiq, pour son premier long métrage, ose aborder de front des sujets qui, dans son pays, sont plus que, disons, sensibles (d’abord censuré, Joyland a finalement pu être diffusé, mais amputé de plusieurs scènes). Et si Haider et Biba paraissent d’abord focaliser toute l’attention (le film se vend principalement sur leur histoire), le scénario, très vite, fractionne les points de vue en s’intéressant également aux autres personnages de la famille d’Haider (en particulier Mumtaz, son épouse) pour composer une sorte de mosaïque narrative proposant un portrait plus large de la société pakistanaise contemporaine, de ses injonctions morales qui empêchent les individus (hommes comme femmes, personne n’est gagnant) jusqu’à ses multiples contradictions.
Si cet aspect "choral" permet de ne pas réduire la fiction à une simple amourette flirtant avec la transgression, il en révèle également (malheureusement) les limites. Sadiq, comme emporté par la fouge du premier film, en oublie une certaine mesure, et parce que Joyland ploie sous un excès d’intentions à vouloir parler à la fois, au sein de la société pakistanaise, du rôle des hommes, de la place des femmes, du poids du patriarcat, de l’image des trans (tolérées, mais ostracisées), du tabou de l’homosexualité, de l’identité sexuelle, de la perpétuation des stéréotypes et des traditions conservatrices. Ça s’éparpille, ça tergiverse, ça nous perd en route, c’est (beaucoup) trop long et parfois ennuyeux : les films qui débordent, qui s’emballent, les films généreux, c’est bien, mais cette générosité-là dessert Joyland, finissant par plomber son rythme et, pire, son intérêt.