Il s’appelle Ramsès et son royaume, c’est le quartier populaire de la Goutte-d’Or, à Paris, entre Barbès et les chantiers sans fin de la Porte de la Chapelle. C’est là qu’il officie, c’est là qu’on vient le voir et qu’on le paie, lui qui parle avec les morts et en rapportent les paroles, aux vivants endoloris, en pleurs. Celles qui réconfortent, qui consolent, qui avertissent aussi. Seulement voilà, il y a un truc, une combine qui roule et qu’il faut taire : Ramsès est davantage un escroc habile, très habile, qu’un véritable passeur avec l’au-delà. Mais le jour où Ramsès a une vraie vision, comme ça, sans prévenir, celle d’un gamin des rues disparu dont il retrouvera le corps sous des gravats, c’est non seulement son quotidien qui se retrouve chamboulé, mais surtout ses rapports avec l’occulte, avec l’intangible dont il faisait indûment commerce.
À l’instar de Ni le ciel ni la terre, c’est une part de mystère et d’étrange qui, soudain, vient s’immiscer dans un réel bien précis, que ce soient les montagnes arides de l’Afghanistan ou les rues et boulevards de la Goutte-d’Or où la violence des bandes de mineurs venus du Maroc agite la vie de tous les jours, et percutera de plein fouet celle de Ramsès. Clément Cogitore, qui a longtemps habité le quartier, en offre, à travers les déambulations de Ramsès cherchant comme une inexprimable vérité (sur ce jeune garçon mort, sur ce qui l’entoure, ou peut-être sur lui-même ?), une radiographie actuelle, presque documentaire. En capte les pulsations, les tensions et les incessants changements. Il explore également le milieu des marabouts et autres diseurs d’aventure qui, depuis des années, font pleinement partie du paysage de la Goutte-d’Or, milieu dont Ramsès a fait sien, à sa façon, les codes et les pratiques.
Le film se déploie ainsi, dans une sorte d’urgence, de fièvre, en un mélange des genres plutôt bien structuré (étude sociale, fable fantastique, polar urbain…) mais qui, paradoxalement, joue contre lui parce qu’on aurait préféré, mais tous les goûts sont dans la nature, que Cogitore se concentre davantage sur l’aspect mystique qui entoure Ramsès et ses racines (voir par exemple sa relation avec son père, intéressante mais trop peu développée). On ressort de Goutte d’or en se disant oui, oui on a vu un film singulier, un film qui intrigue, et puis superbement, et même intensément habité par Karim Leklou, mais en n’en retenant pas grand-chose au final, quelques images fortes, quelques impressions qui marquent sur l’instant, mais qui pourra dire quoi d’autre ?
Clément Cogitore sur SEUIL CRITIQUE(S) : Ni le ciel ni la terre.