Il faut, et c’est bien dommage, le dire de suite, mais l’attente que l’on nourrissait pour ce Carmen est proportionnelle, et même davantage, à la déception que procure la (pénible) vision du film. Grosse attente parce que premier film de Benjamin Millepied. Parce que relecture contemporaine du Carmen de Bizet et de Mérimée (dont, en réalité, il ne subsiste plus grand-chose, voire plus rien). Parce que de la danse, de la passion et de l’électrique. Parce que des paysages grandioses. Parce que du plaisir à (re)voir Rossy de Palma et à admirer le couple irradiant de beauté formé par Melissa Barrera (échappée de la nouvelle saga Scream) et Paul Mescal (qui, depuis Normal people, casse la baraque).
Carmen n’est donc plus ce simple objet de désir que les hommes cherchent à posséder, cette jeune femme qui se plaît à les séduire jusqu’à les rendre fous, et qui en mourra, assassinée par jalousie et désespoir. Devenue immigrée mexicaine à la volonté de feu fuyant la violence de son pays (sa mère est tuée dès les premières minutes du film) pour les États-Unis, elle rencontre lors de son périple un marine de retour d’Afghanistan, Aidan, qui l’aide à échapper aux border patrols en abattant l’un d’eux. Voilà les deux (futurs) tourtereaux embarqués dans une cavale sans retour (elle à la rencontre de ses racines, lui contre les traumas de la guerre) où leur amour fou, cet "oiseau rebelle", ne saurait contrecarrer leur sombre destin.
Il faut donc faire table rase de Carmen et de Don José, de Séville l’Andalouse et autre enfant de Bohème déclamé à tue-tête parce qu’on est plus proche ici des amants maudits en mode chasse à l’homme que de la tragédie amoureuse opératique. Que Millepied respecte ou trahisse, honore ou modernise (féminise ?) le texte d’origine ne change rien au problème du film : un scénario souffrant d’un manque criant d’originalité et recyclant à gros traits (la musique de Nicholas Britell, composée presque exclusivement de chœurs lourdingues, n’aide pas à l’affaire) les figures classiques du road movie poussiéreux et des liens du sang comme une force pour avancer.
Pire encore : jamais les chorégraphies ne parviennent à le transcender un minimum, ou simplement à rehausser le niveau. C’est d’ailleurs ce qui contrarie le plus dans Carmen : qu’un chorégraphe talentueux comme Millepied puisse proposer des scènes de danse aussi peu inspirées (ici un pauvre flamenco mal filmé, là une danse kitsch digne d’un girls band ringard, là encore une autre qu’on dirait extraite de Danse avec les stars…), à l’exception quand même de celle lors d’un combat à mains nues, puissante, et celle, finale, entre Carmen et Aidan. Film hybride et bancal traversé de quelques fulgurances visuelles, Carmen paraît constamment se chercher une singularité et dans ce mélange (attendu) des genres, et dans ce dépoussiérage du récit populaire d’une femme qui se veut libre avant tout, mais sans jamais, tant pis pour nous, la trouver enfin.