Hey, toi là, le quarantenaire/cinquantenaire qu’était gamin dans les années 80, toi le nostalgique des épaulettes et des walkmans, d’Ulysse 31 et de Rick Astley, tu te rappelles ? Tu te rappelles de cette pub en 1986 de La vache qui rit ? Et dans cette pub y’avait un type qui faisait passer un casting à des vaches, et ce type on l’entendait dire, à chaque bovin qui se présentait, "Trop banal. Trop fort. Trop maigre. Ça va pas, non, trop typé. Trop looouuurd !". Tu vois où je veux en venir ? Tu saisis l’équation, le raccourci ? Non ? Bah Dead reckoning, c’est trop, voilà, et pendant que Tom Cruise sautillait partout ou tentait d’exprimer une once d’émotion avec, pas facile, un visage paraissant figé par le botox, toi tu pensais à cette pub. T’y pensais parce qu’ici tout est trop long, trop lourd, trop bouffi, trop sérieux, trop confus, trop bavard, trop barbant.
En vrai Dead reckoning, c’est à peine trente minutes de scènes d’action et deux heures d’interminables tunnels de dialogues explicatifs où t’as, en vain, essayé de comprendre quelque chose à cette histoire d’intelligence artificielle qui a pété les plombs, de clés qui s’emboîtent et de Némésis surgie du passé cherchant à dominer le monde. Le… comment on pourrait appeler ça… "scénario" écrit par Christopher McQuarrie et Erik Jendresen pose question (et quand on sait que McQuarrie est l’auteur d’Usual suspects, ça pose vraiment question). Soit ces deux-là ont clairement oublié de potasser leur "Écrire un scénario crédible et compréhensible pour les nuls", soit il a été paresseusement régurgité par ChatGPT avec la requête suivante : "Récit d’espionnage d’environ trois heures sur les dangers de l’AI entremêlant à la truelle James Bond, John Wick, Fast and furious et le sérieux lourdingue de Christopher Nolan avec des bidules à trouver aux quatre coins du monde et avec des cascades à moto ou en train et avec des masques et avec des soirées stylées et avec des chronomètres de bombes à arrêter".
À ce point d’ailleurs de bordel narratif et de développement des personnages proche du néant (ceux des deux flics par exemple, qui ne servent littéralement à rien), on frôle le génie, enfin une certaine idée du génie. Même les tourments qui agitent cet increvable Ethan Hunt (suite à la mort d’un des personnages principaux qui, pourtant, nous laisse totalement indifférent car traitée comme un truc à peine important, sur lequel ne pas s’appesantir parce que bon, on n’est pas là pour pleurnicher et questionner la valeur cosmogonique d’un existentialisme pur) paraissent superficiels, quand aucun autre protagoniste, que ce soit Benji, Luther, Ilsa, Grace ou Alanna, ne semble autorisé à déployer son potentiel. Ni à pouvoir, éventuellement, dépasser les limites d’un script verrouillé par sa volonté de trop-plein.
Limites venant rappeler, ici de façon implacable, que le cinéma d’action exige davantage que cabrioles époustouflantes, rebondissements à la chaîne et pléthore d’artifices visuels (certes, le final abracadabrantesque avec ces wagons chutant les uns après les autres dans le vide est hautement jubilatoire) pour emmener avec lui le spectateur et aiguiser ses envies de divertissement régressif. Il faut un truc en plus. Il faut du caractère. Il faut une âme (Piège de cristal, True lies, Speed, Volte/face…). Et Dead reckoning de révéler, in fine, un vide conceptuel qui condamne l’expérience cinématographique qu’il cherche à proposer (et à imposer auprès des autres franchises, c’est que la concurrence est rude à l’heure actuelle) à l’insignifiance, au lisse, à l'ennui. Qu’il paraît loin désormais le temps de la cérébralité sophistiquée d’un De Palma, de la flamboyance décomplexée d’un Woo ou du fun intelligent de Protocole fantôme…
Ethan Hunt sur SEUIL CRITIQUE(S) : Mission : Impossible III, Mission : Impossible - Protocole fantôme, Mission : Impossible - Rogue nation, Mission : Impossible - Fallout.