Hasard du calendrier, comme on dit : à presque un mois d’intervalle, après Anatomie d'une chute, sort un nouveau film de procès où, là encore, le langage sert à construire et déconstruire, impose sa toute-puissance rhétorique. Celui de l’ancien militant d’extrême gauche Pierre Goldman devenu, à partir de la fin des années 70, bandit notoire accroc aux braquages. L’un d’eux finira mal : deux pharmaciennes sont tuées et deux hommes blessés, dont un gardien de la paix. Goldman est accusé, clame son innocence, dénonce antisémitisme, machination policière et police raciste (autre époque, même systémique), et devient le protégé de la gauche intellectuelle, de Debray à Signoret en passant par Sartre et de Beauvoir.
Lors d’un premier procès, il est condamné à la prison à perpétuité. Un deuxième procès a lieu, deux ans plus tard, avec la peine capitale comme possible sentence. Goldman sera finalement acquitté des deux meurtres des pharmaciennes, mais condamné à douze ans de réclusion criminelle pour d’autres vols à main armée. C’est ce deuxième procès qui est (re)mis en scène ici, car de mise en scène, le procès Goldman en fut une à sa façon (emballement médiatique, coups de gueule, luttes d’influence), et Cédric Kahn n’escamote rien des conventions quelque peu théâtrales qui se sont jouées dans l’arène du tribunal (il faut voir les plaidoiries des avocats des différentes parties, grand spectacle déclamatoire où les égos, la verve et la belle formule semblent soudain l’emporter sur les convictions profondes).
Car il s’agit d’abord pour Kahn, derrière l’homme-symbole à la judéité portée en étendard, derrière ses écarts et ses idéaux qui le mèneront jusqu’au Venezuela, terre de révoltes et de guérillas, d’ausculter à huis clos, à l’os (pas d’effets, pas de musique, pas de facilités), l’appareil judiciaire dans ses errements et dans son "cirque" comme dans son respect de l’état de droit (Goldman, malgré les zones d’ombre, sera disculpé, faute de preuves tangibles). Malgré tout, le film n’est pas exempt de défauts, à commencer par une interprétation pas toujours à la hauteur, et parfois même franchement mauvaise (on en vient à se demander comment Kahn a pu laisser passer certaines séquences où le jeu des acteurs fait clairement tache).
Et puis les premières scènes du procès, s’attardant paresseusement sur l’enfance, le parcours révolutionnaire et les racines familiales de Goldman, traînent en longueur, avant que le film ne trouve sa force d’inspiration et d’attaque dans l’enchaînement des auditions où témoins, accusé et avocats se livrent à des affrontements et des démonstrations dialectiques qui passionnent, questionnent, troublent. Et qui laissent, à la fin, avec autant de certitudes que de doutes, et parce que Goldman saura se montrer à la fois habile, vindicatif et indéchiffrable. Kahn l’a d’ailleurs dit : "L’intérêt de cette affaire est qu’elle n’est pas résolue. Elle reste un mystère".