Les contraires s’attirent, dit l’adage. Ils seraient même, d’une certaine façon, complémentaires. Comme par exemple Sophia et Sylvain. A priori rien à voir entre ces deux-là. Elle est professeure de philosophie à Montréal et vit en couple avec Xavier depuis dix ans, intello comme elle et un rien ennuyeux. Lui est charpentier dans les Laurentides, du genre beau gosse local élevé en plein air. Il cite Michel Sardou, fait des fautes de langage, elle enseigne Platon et Spinoza, aime deviser sur la nature humaine ou les dictateurs. Il est brut de décoffrage, elle est une citadine sophistiquée. Et si, en premier lieu, c’est le sexe qui les pousse à se revoir, à s’oublier dans une relation charnelle et insatiable où les corps exultent (se réveille pour Sophia), très vite l’amour s’invite à l’affaire.
Sylvain est fou d’elle. Sophia est fou de lui, avec l’envie soudaine de liberté, de simplicité, d’autre chose. Une envie "d’essentiel", dit-elle. Monia Chokri filme deux mondes qui se rencontrent, se rentrent dedans plutôt, observant les interactions sociales (et bien sûr amoureuses) entre deux personnes issues de milieux parfaitement antithétiques. Avec drôlerie et subtilité (beaucoup plus que le Pas son genre de Lucas Belvaux, sur un sujet identique), le film interroge les préjugés que l’on peut avoir sur l’autre, et surtout quand il s’agit de cet autre que l’on aime. Chokri bouscule les codes de la comédie romantique comme elle s’amuse à bousculer les clichés (qui, c’est bien connu, ont la peau dure) sur les snobs d’un côté et les beaufs de l’autre (voir les deux scènes de repas avec la belle-famille et les amis, à la fois piquantes et amères dans ce qu’elles traduisent d’une espèce d’irréconciliabilité latente).
Tout le monde ici en prend pour son grade. Tout le monde bataille avec ses défauts et ses petites intolérances, ses positions trop hâtives, trop arrêtées. La question sera donc de savoir si Sophia et Sylvain parviendront à se comprendre, et à s’unir sur le long terme, malgré leurs disparités. Si la passion est soluble (et tenable) dans les différences de classes. Suspens… En mode visiblement vintage 70’s (on pourra d’ailleurs tiquer sur cet abus de zooms qui passe davantage pour un tic de mise en scène qu’une éventuelle idée de mise en scène, tandis que la musique, elle, a parfois de beaux airs de Michel Legrand), Chokri imprime un rythme enlevé à sa romance ardente et trébuchante (même si le film accuse un petit coup de mou au début de son dernier tiers). Et puis exprime magnifiquement le désir féminin. Et puis ose laisser son héroïne (géniale Magalie Lépine-Blondeau) seule face à son choix, fût-il bon ou mauvais, seule donc, sans effusions ni violons.
Monia Chokri sur SEUIL CRITIQUE(S) : La femme de mon frère.